Au courrier, aujourd’hui…
Dans un petit livre paru aux éditions Mille et une nuits (2015), Alain Supiot (Professeur au collège de France, Chaire Etat social et mondialisation) présente De l’éminente dignité des pauvres de Jacques – Bénigne Bossuet. Large citation de son commentaire (pp.44 – 46. Je ne reporte pas ici les notes de Supiot) :
Bossuet n’est pas le premier à retourner ainsi l’enrichissement matériel comme un gant, pour montrer son envers : le besoin inextinguible chez les « mauvais riches » – ces « pauvres impudents et insatiables » – d’en avoir toujours plus. Jusqu’à ce que l’utilitarisme triomphe en Europe, c’est-à-dire jusqu’au XIXe siècle, la règle reçue des philosophes et des sociétés traditionnelles étaient la condamnation de la pléonexie, de l’accumulation insatiable. Les Grecs illustraient cet interdit par l’histoire du roi Midas qui, après avoir fait le vœu de transformer ce qu’il touchait en or, failli mourir de faim et de soif dans une totale solitude. Bossuet cite quant à lui saint Jean Chrysostome, qui pour illustrer la même idée, imagine riches et pauvres vivant dans deux villes distinctes et présage la ruine de celle des riches : leur cité n’ayant pas d’autre loi que l’accumulation perd le sens d’un travail réellement créateur. C’est exactement la morale inverse que proposera La Fable des abeilles de Bernard Mandeville, fable qui a donné dès 1714 le branle à l’idéologie économique contemporaine. Sous-titrée « Vices privés, bénéfices publics », elle narre l’histoire d’une ruche, dont les abeilles, ayant décidé de se convertir à la vertu, sombrent aussitôt dans l’ennui et la pauvreté. La morale de la fable est qu’ « il faut que la fraude, le luxe et la vanité subsiste, si nous voulons en retirer les doux fruits ». Devenue la vulgate de l’ultralibéralisme, cette morale s’adresse aujourd’hui à tout le monde et pas seulement aux riches. Sous l’égide du Marché total, nous aurions tous l’enrichissement pour but et l’égoïsme pour principe. Bossuet et saint Jean Chrysostome semblent donc aujourd’hui avoir perdu la partie. Ou, plus précisément – amère victoire –, les temps présents vérifient leur prophétie d’un appauvrissement de l’esprit dans un monde réglé sur la finance. (Alain Supiot).
Apparemment sans rapport…
Hier, à l’émission C’dans l’air, animée par Yves Calvi (la 5), débat autour de la Xième réforme de l’enseignement en France. Discussions enflammées autour des contenus. Personne ne semble avoir entendu parler du concept de contre-productivité et de Yvan Illich. Conséquence : pédalage dans les épiphénomènes en étend convaincu d’avoir discuté du phénomène, contrairement aux interlocuteurs. Et si l’utilitarisme était une clé de lecture faisant gagner du temps. Pourquoi le latin et le grec? pourquoi l’histoire?… quand le président Hollande promet des tablettes informatiques pour tous les élèves! Gageons que la promesse sera tenue puisqu’elle permettra une relance de la croissance. Et si elle n’est pas tenue par lui, elle le sera par son/sa successeur_se, dont la grille de lecture ne sera pas moins utilitariste.
Il ne faut surtout pas que l’école développe chez les enfants (– rois qu’on ne peut plus élever puisqu’ils savent déjà tout) l’esprit critique qui risquerait rendre les stratégies marketing moins opérantes.
Le Titanic coule et, sur le Sun deck, les bons petits matelots réalignent les transats.
in praesenti tempore vestra abundantia illorum inopiam suppleat ut et illorum abundantia vestrae inopiae sit supplementum ut fiat aequalitas sicut scriptum es * Saint Paul, Corinthiens 2 – 8.14
* dans la circonstance présente, votre superflu supplée à ce qui leur manque, afin que pareillement leur superflu pourvoie à vos besoins, en sorte qu’il y ait égalité.
Même Saint-Paul, en latin, ça donne des mauvaises idées. Quelle histoire !