Apparaître en mettant l’Être à part !

Apparaître en mettant l’Être à part !

Hypocondriaque conséquent, je ne consulte que les médecins légistes.Aimé Shaman

La médecine a plaqué son schéma sur nos existences : à un problème interne, elle apporte des solutions externes. Il en allait du mental comme du physique et, face aux problèmes psychiques, elle traitait les malades par l’isolement, la contrainte, la violence (camisole, camisole chimique, lobotomie, électrochocs, etc.).
Notre médecine allopathique, qui applique avec soin la différence cartésienne entre le corps et l’esprit, a longtemps confié les « malades mentaux » à des « aliénistes » avant de faire émerger la catégorie des « psychiatres », lesquels sont nantis de la responsabilité de pouvoir administrer des substances chimiques.
La maladie mentale, privilège de quelques-uns – les fous – , n’a plus cours aujourd’hui : elle n’a plus de sens, dans la mesure où une majorité d’individus est soumise à la souffrance psychique.

La médecine majoritaire, sponsorisée par la Pharma, n’envisage toujours pas qu’il pourrait y avoir besoin de « prêtres », et elle répond par le médicament, les psychotropes (les psychotropes non soumis à des impôts indirects sont appelés « drogue » et font l’objet d’un marché parallèle. Ils ne sont pas soumis à ordonnance, mais sont réponse à addiction).

Le succès mitigé des solutions médicales a pour conséquence une croissance régulière des coûts de la santé et le développement d’une « néo-prêtrise » : coach, consultant, médiateur, spécialiste de l’absentéisme, spécialiste en speed dating, love-coach, etc.
Le DSM entre sa première publication en 1952, et le DSM V, paru en 2013, le nombre de diagnostics pathologiques est passé de 60 à 550 environ.
Mentionnons que ce manuel ne désigne pas tant des maladies que des comportements. Son but n’est pas précisément de fournir une aide aux médecins, mais un alibi aux assurances pour (ne pas) rembourser des psychotropes soumis à l’impôt.

To reimburse or not to reimburse a remplacé le To be or not to be, dans un monde où la Subjectivation se fait de plus en plus shakespearienne.

Olivier Rey, 2014, Une question de taille, Paris, Stock
La critique de l’aliénation médicale a eu elle aussi [comme l’école] des effets contre-productifs. Et là en effet contribué, au prétexte de rendre les personnes moins passives, à en faire des « acteur » responsable de leur santé – n’ont pas indépendamment du dispositif médical, mais en étroite collaboration avec lui. La préoccupation sanitaire est ainsi sortie des cabinets et des hôpitaux pour être intériorisée par chacun et envahir la société entière.
Parmi ces innombrables faiblesses, le système actuel a une immense force : une capacité à recycler à son profit les critiques qui lui sont adressées. Le développement et la croissance économique ont-ils des effets destructeurs sur la nature ? Qu’à cela ne tienne, voici le « développement durable », la « croissance soutenable », la « croissance verte », les « démarches écoresponsables » qui permettent d’ajouter la bonne conscience à la continuation des ravages. Tant que les postulats informulés qui façonnent les esprits ne sont pas exhumés, tant que la matrice intellectuelle et perceptive qui sous-tend la dynamique en cours n’est pas atteinte, toute objection se trouve retranscrit en termes scientifico – technico – économiques et gestionnaires et finit par servir le processus qu’elle visait. (p. 73).