Michéa, à consommer sans modération ! (suite)
Jean-Claude Michéa, Le complexe d’Orphée. La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès. (2011. Paris. Flammarion).
C’est donc dans le cadre de ce «nouveau management» que l’ouvrier de métier [3] – dont l’autonomie et le savoir-faire avaient longtemps permis de créer des valeurs d’usage de qualité – doit progressivement céder la place au prolétaire intégral (qu’il soit en col bleu ou en col blanc) dont l’activité à présent interchangeable (sur fond d’«évaluation» permanente par sa hiérarchie) n’a plus d’autre but que de générer de la valeur d’échange (de «faire du chiffre», selon l’expression consacrée), c’est-à-dire de dégager le plus grand profit possible pour ceux qui l’emploient (profit que l’entrepreneur contemporain devra à son tour apprendre à partager avec ses propres actionnaires ou ses «donneurs d’ordre»).
Naturellement, à partir du moment où le travail en vient ainsi à se réduire – pour l’essentiel – à une pure dépense abstraite d’énergie physique ou nerveuse au service de l’entreprise (il restera toujours, bien sûr, une élite scientifique et technicienne, formée dans les «grandes écoles» et dont l’économie de marché ne peut se passer, quitte à en prélever une partie – financièrement moins exigeante – parmi les diplômés que réussissent à former les pays pauvres ou «émergents»), il change inévitablement de forme et de signification.
C’est alors seulement que nous quittons définitivement la logique du métier (le travail concret qui produit des valeurs utiles) pour entrer peu à peu dans celle de l’emploi (le travail abstrait qui produit des valeurs d’échange) – logique de l’emploi dont l’ensemble des partis de gauche (et la plupart des syndicats) ont d’ailleurs intériorisé depuis longtemps le caractère à la fois «moderne» et «inéluctable». (Michéa, 2011 :264-5)
Chute de l’empire romain : Panem et circenses ! Décadence de l’En-pire européen : Circenses sine panis ! Aimé Shaman