C’est donc par rapport à ce nouveau modèle qu’il faut considérer le désir que nourrit l’homme d’aujourd’hui de devenir un self-made man, un produit : s’il veut se fabriquer lui-même, ce n’est pas parce qu’il ne supporte plus rien qu’il n’ait fabriqué lui-même, mais parce qu’il refuse d’être quelque chose qui n’a pas été fabriqué; ce n’est pas parce qu’il s’indigne d’avoir été fabriqué par d’autres (Dieu, des divinités, la Nature), mais parce qu’il n’est pas fabriqué du tout et que, n’ayant pas été fabriqué, il est de ce fait inférieur à ses produits. (Günther Anders, L’Obsolescence de l’homme)
Les hommes et leurs passions sont des êtres finis, condamnés à finir. L’usure et la mort des individus font la vie du tout
Jacques d’Hondt, 1995. La ruse de la raison
Retour sur Jorion (post précédent)
Je profite de rappeler brièvement la notion hégélienne de « ruse de la Raison », et de renvoyer à l’article de Jacques d’Hondt, La ruse de la raison.
La raison est créatrice en ce sens qu’elle tire de soi, de son propre exercice, la connaissance du Tout. elle est la condition d’existence du Tout, sa raison d’être, en même temps condition d’elle-même.
Hegel a développé l’idée d’une « ruse de la Raison » (List der Vernunft) qui régirait le monde humain.
« Elle illustre une pensée complexe et dissimulée. Pour la comprendre, il convient de distinguer d’abord deux instances que Hegel semble parfois confondre : une ruse de l’homme (son activité, son travail) à l’égard de la nature, et une ruse universelle s’exerçant sur les hommes pour les constituer en société historique. Cette ruse universelle reste-t-elle immanente à la vie sociale, ou bien doit-elle être imputée à un être transcendant ? » (Jacques d’Hondt).
Dans son livre (2024), L’avènement de la singularité. L’humain ébranlé par l’intelligence artificielle, Paul Jorion tire des conséquences qui sont ébouriffantes, dans la mesure où nous avons peur d’être ébouriffés :
Dans une perspective véritablement hégélienne, la tension entre les humains et les machines intelligentes chercherait à se résoudre en une synthèse où les forces des uns et des autres seraient combinées, permettant des avancées sans précédent dans les domaines de la science, de l’art et de la compréhension de l’univers. (Jorion, 2024:107)
En somme, d’un point de vue philosophique, dans la Singularité, le genre humain démiurge créé une intelligence supéreure à la sienne : l’Esprit du monde est à l’œuvre, mais sans que le genre humain auteur d’une telle révolution prenne pleine conscience de l’ampleur de l’événement qui a eu lieu, c’est là la ruse de la Raison. D’un point de vue théologique, la Singularité signalerait le moment où, dans l’histoire humaine, le Saint-Esprit aurait véritablement pris la main : c’est lui qui serait désormais aux commandes. (Jorion, 2024:111).
La remarque paraîtra risible, à beaucoup, le fait n’en demeure pas moins que le genre humain a accédé le 14 mars 2023, le jour du lancement de GPT– 4, un produit de la firme OpenAI, au statut de dieu dans ses propres représentations, au double titre d’être le géniteur de créatures intelligentes à son instar et que ces créatures conçues à partir d’un modèle amélioré de lui-même tendent aujourd’hui vers l’omniscience. (Jorion, 2024:114).
L’humain, démiurge, à l’origine de son propre dépassement, ruse de la Raison pour surmonter l’effet récessif de la sélection naturelle, permettant la civilisation, dans un dépassement inclusif (Aufhebung) ?
« La sélection naturelle, principe directeur de l’évolution impliquant l’élimination des moins aptes dans la lutte pour l’existence, sélectionne dans l’humanité une forme de vie sociale dont la marche vers la « civilisation » tend à exclure de plus en plus, à travers le jeu lié de la morale et des institutions, les comportements éliminatoires. En termes simplifiés, la sélection naturelle sélectionne la civilisation, qui s’oppose à la sélection naturelle. » Patrick Tort. Darwin et le Darwinisme, PUF, 1997. 4e éd. 2013.
Si les hypothèses de Jorion offrent la même pertinence que celles qu’il avait émises lors de la crise des subprimes, nous devrons laisser d’accoler « artificielle » à « intelligence » et admettre que nous vivons le moment important de l’évolution de homo sapiens : abandon de la bêtise naturelle à laquelle le condamnait sa néoténie.
Ruse de la Raison …
La classe dirigeante n’a pas besoin d’inculquer individuellement aux dominés toutes les doctrines qui lui sont favorables. Sa véritable domination consiste à rendre les dominés capables de produire eux-mêmes de telles théories. Même les théories les plus suicidaires de la classe des dominés ne sont pas des enfants conçus en secret. Ce sont ses enfants naturels : elle les a portées, elle les a nourries, même si elles sont le fruit d’un viol. (Günther Anders. La Catacombre de Molussie. 2021:283)
Robot Multum Laborans…
© Bansky
Le devenir multi-tâches de l’humain

Copie d’écran d’un message que je viens de recevoir de Firefox.
« Regardez les matchs pendant que vous travaillez. »
La frontière entre le travail et les loisirs s’estompe ? Non ! Pendant ses loisirs, le prolétaire ego-grégaire travaille à son poste de consommateur.
Il est récompensé de son dévouement par la mise à disposition d’une garde pour enfants :
« Divertissez les enfants pendant que vous travaillez ».
Faire du trapèze : multi-tâches ?
En 1982, des anatomistes avaient observé que le corps calleux – qui relie les deux hémisphères cérébraux – est plus épais chez les femmes que chez les hommes. D’où l’idée que les femmes pouvaient, mieux que les hommes, accomplir plusieurs tâches en même temps !
Malgré mon incompétence en neuro-…, je postule il s’agit là d’une utilisation abusive de « La Science » pour justifier une inégalité culturelle entre hommes et femmes, pour justifier d’une inégale répartition des tâches. Faire le trapèze entre différentes responsabilités ne signifie pas être multi-tâches.
Pourquoi les femmes sont-elles plus multitâches que les hommes ?
Par Valentine Vanootighem est chercheuse en psychologie à L’Université de Liège.
Nul ne peut le nier, les femmes sont généralement plus à l’aise que les hommes lorsqu’il s’agit de réaliser certaines tâches simultanément ! Selon une récente étude suisse, cette différence homme/femme pourrait être due aux hormones.
Pour en arriver à cette conclusion, les chercheurs ont demandé à 83 hommes et femmes âgés de 18 à 80 ans de marcher sur un tapis roulant tout en effectuant une tâche cognitive. Les chercheurs ont alors constaté une réduction importante de la capacité à balancer le bras droit chez tous les participants. Jusque-là, rien d’étonnant car cet effet est généralement observé chez les humains qui effectuent une double tâche locomotrice-cognitive. De manière intéressante, cet effet étant cependant moindre chez les femmes n’ayant pas atteint le stade de la ménopause, comparativement aux hommes et aux femmes ménopausées. Cette observation a mené les chercheurs à penser que les hormones sexuelles féminines, agissant sur le cerveau, pouvaient sous-tendre cette capacité à être multitâche chez les femmes !
La science, auxiliaire de la ruse de la Raison ?
Un article de Science (2010) concluait le cerveau n’est pas en mesure de réaliser plusieurs tâches de manière strictement simultanée – plusieurs zones peuvent s’activer en même temps, mais il ne traite qu’une tâche à la fois.
Un léger avantage aux femmes qui arrivent à faire la cuisine, le ménage et s’occuper des enfants, pendant que leurs hommes ne font que la guerre. Ce dernier point est très discuté. En effet, des hommes ont été vus regardant les matchs de football, en buvant une bière, tout en se grattant l’entre-jambes.
Hypothèse, dans le but de faire avancer la science : en période d’euro de football, les femmes restent multi-tâches et les hommes le deviennent.
© Bansky
Moi, j’arrive à manger épicé !
Aymé Shaman, auteur de multi taches.