Passet – La nostalgie (1).

Passet – La nostalgie (1).

Il n’est pas bon d’avoir trop d’avance.

Dans l’introduction à son livre L’Économique et le vivant (1979, Payot), René Passet écrivait :

Une vision rétrécie, limitée aux seuls domaines de la production et de l’échange, lui interdisant de situer les événements dans leur cohérence globale, elle [l’économie] le connaît, hors de son champ, que des faits isolés : la catastrophe lui semble être accident et la multiplication de ces « accidents » lui apparaît comme une déviation – caractérisant une crise – par rapport à un ordre des choses qu’elle décrit comme normal.

Or, ce n’est pas la notion de crise, mais celle de mutation, qui nous paraît caractériser la situation dans laquelle se trouve engagé le monde contemporain.
La crise suggère l’existence d’un état normal momentanément rompu et appelé à se rétablir. La mutation, au contraire, évoque les bouleversements irréversibles situés dans la logique d’une évolution ; c’est ici la norme même qui se transforme, un ordre qui s’efface et un autre qui se dessine.

Et la crise actuelle est trop générale, les crises spécifiques se révèlent trop nombreuses, pour ne pas traduire une transformation fondamentale des mécanismes sur lesquels fonctionnent les sociétés, en même temps qu’une régression des systèmes de valeurs dont elles tirent leur justification.

De la dégradation de l’environnement, illustrée par le naufrage d’un pétrolier géant, au malaise des consciences individuelles, en passant par l’épuisement des ressources naturelles, le sous-emploi ou les outrances de certains particularismes, tout se tient :
– l’accident ne peut être considéré comme tel qu’au niveau de l’événement isolé ; replacé dans son contexte, il apparaît comme la conséquence statistiquement inévitable d’une certaine logique de l’efficacité matérielle ou de la rentabilité, ignorante des solidarités aussi bien que du risque social ;
– là où la poursuite des valeurs communes rassemblait les hommes, la conquête des richesses matérielles les oppose et conduit chacun à négliger les dommages qu’il inflige à autrui.

Ce qui se trouve mis en cause derrière ces événements, c’est le primat de l’économique posé comme finalité des conduites individuelles et critères ultimes des grandes décisions publiques. (1979:8-9).

Si les sciences sociales étaient une religion, Passet serait un de ses prophètes. Or, elles ne sont pas une religion et il faut généralement une génération pour commencer à les réhabiliter, après les avoir brûlés.

En 1979, j’étais étudiant à l’Institut Universitaire d’Etudes du Développement (IUED), à Genève. Les professeurs et étudiants qui tenaient pour Passet, Gorz, Illich, etc. et quelques autres passaient pour de dangereux gauchistes ou, plus gentil, se faisait traiter de « nietzschéens ».

À la même époque, José Manuel Barroso étudiait dans cette même ville de Genève. Il n’était pas nietzschéen. Il avait certainement senti que l’avenir n’était pas aux nietzschéens.

Le monde va bientôt se diviser entre pays émergents et pays immergés. Et des journalistes qui nous présentent toujours le xième rapport du GIEC, les Travaux de la COP n+1, comme des scoop !Aimé Shaman