… Ou vers une civilisation posthumaine ? (1)

… Ou vers une civilisation posthumaine ? (1)

Allotechnique et homéotechnique : une « réforme de l’esprit ».

Quand je ne sais plus quoi penser, que je doute de mes capacités à le faire, je retrouve toujours les mêmes auteurs, des auteurs dont la lecture donne l’impression d’être plus intelligent, avec en même temps le regret de ne pas, comme eux, « avoir vu avant ».

Au (presque) sortir des promesses électorales du « Demain, on rase gratis ! » et du travail (presque) pour tout le monde (avec au moins un réservoir de chômeurs comme « variable d’ajustement »), relecture d’un petit livre de André Gorz, L’Immatériel. Connaissance, valeur et capital. (2003, Paris, Galilée).

Allotechnique et homéotechnique : une « réforme de l’esprit », C’est le titre d’un sous-chapitre et conclusion du livre. Je cite :

L’idée et le projet de l’auto-engendrement d’un genre posthumain n’ont pu surgir, en fait, que dans des sociétés dont des secteurs potentiellement hégémoniques ne se comprennent plus comme appartenant à une société quelconque. Robert Reich avait annoncé cette dissidence pour la techno-élite des symbolics analysts. Petter Sloterdijk fait la même analyse d’un point de vue anthropologique :
« Une partie du genre humain actuel, sous la direction de la fraction euro-américaine, a intenté avec son entrée dans l’ère hautement technologique une procédure sur elle-même et contre elle-même, dont l’enjeu est une nouvelle définition du genre humain. » [La Domestication de l’Être p. 32].
Et, plus loin, cette indication sur la façon dont cette nouvelle définition ne doit pas être comprise :
«Les compositions de la technique […] ne suscitent ni acclimatation ni effets d’approvisionnement de l’extériorité. Elles augmentent au contraire le volume de l’extérieur et du jamais assimilable. La province du langage se réduit, le secteur du texte lisible par des machines se développe ». [La Domestication … p. 88-89].
Autrement dit, à force de traiter le monde comme un matériau extérieur qu’il s’agit de soumettre « à des fins qui [lui] sont fondamentalement indifférentes et étrangères », la technoscience a fabriqué par ses « allotechniques » un univers machinisé, réifié, violé qui ne peut plus être expérimenté et vécu comme un « habitat », une « patrie » pour l’homme : « l’absence de patrie et le fait dominant du modus essendi contemporain. » [La Domestication … p. 76].

[[Remarque personnelle : il faudrait peut-être analyser le succès des mouvements populistes avec cette grille de lecture. C’est le désarroi d’une absence d’habitat, de « patrie », plus qu’un rejet de l’autre, une « xénophobie », qui fonde le succès des mouvements populistes et ce, dans tous les pays qui ont atteint un certain stade de développement technique ou qui se voient près à l’atteindre. Il est curieux de noter que les régions qui rejettent le plus « les étrangers » sont celles qui en ont le moins à demeure sur leur territoire. Il n’est pas moins intéressant de remarquer que beaucoup de régions qui sont en faveur de ces mêmes étrangers sont celles qui ont travaillé le plus dans leurs usines ].

[…]
C’est sur la réforme de la pensée, précisément, que la contribution de Sloterdijk mérite la plus grande attention. Il nous dit que le rapport de l’homme au monde a été dominé depuis le néolithique par les « allotechniques » : c’est-à-dire par le viol de la nature des choses considérées comme des matériaux, des « matières premières » à dominer, à « réduire en esclavage », à utiliser à des fins qui sont fondamentalement étrangères auxdites choses. Dans l’ancien concept de matière, on intègre toujours l’idée qu’« en raison de ses aptitudes minimales et au bout du compte récalcitrantes » [La Domestication … p.90 – les mentions de pages dans le texte qui suit renvoient à cet ouvrage] la matière doit être soumise par la force. Les allotechniques, en somme, fonds propres à ce que Jacques Robin appelle l’« ère énergétique », ère qui approche de sa fin à partir du moment où se découvre à l’intelligence humaine une dimension de la matière jusque-là ignorée : l’information. L’humanité entre alors dans une nouvelle ère, l’«ère informationnelle ».
Peter Sloterdijk fait une analyse très proche de celle de Robin [Changer d’ère. Paris. 1989]. L’allotechnique est une « technique périmée » dès lors qu’ils se révèlent qu’«il y a de l’information » dans la nature, qu’il y a « des systèmes qui s’organisent eux-mêmes » ; que « l’esprit ou la pensée peuvent s’insinuer dans “l’état des choses“ et y demeurer », devenir « des mémoires objectives » (p. 81). « Matière informée », machines intelligentes ou « allant jusqu’à l’apparence de l’intelligence planificatrice, de la faculté de dialogue » (p. 83) ; gènes qui représentent « la forme la plus pure de la matière informée et informant, puisque les gènes ne sont que des “ordres“ assurant la synthèse des molécules de protéines » (p. 85). Tout cela disqualifie le dualisme séparant rigoureusement « l’âme et la chose, l’esprit et la matière ».
(Gorz, pp. 146-149).

Dans mon prochain billet, je reprendrai cette dernière phrase et citerai la fin du chapitre (et du livre).

Ayant déjà goûté aux costumes, grâce à la bonté d’un généreux donateur, François Fillon tâtera-t-il des joies de la veste, par la volonté d’impécunieux électeurs ? Depuis hier, j’ai la réponse !Aimé Shaman