… Ou vers une civilisation posthumaine ? (2)

… Ou vers une civilisation posthumaine ? (2)

Allotechnique et homéotechnique : une « réforme de l’esprit ». (Suite).

Suite de la citation des deux dernières pages du livre de André Gorz, L’Immatériel. Connaissance, valeur et capital. (2003, Paris, Galilée).

Tout cela disqualifie le dualisme séparant rigoureusement « l’âme et la chose, l’esprit et la matière ».

« [Avec la phrase] “il y a de l’information“, l’ancienne image de la technique comme hétéronomie et esclavage des matériaux perd sa plausibilité […]. Avec les technologies intelligentes est en train de naître une forme de l’opérativité qui ne relèvent pas de la position du maître et pour laquelle nous proposons le nom d’homéotechnique. Celle-ci, par son essence, ne peut rien vouloir de totalement différent de ce que les choses sont ou peuvent devenir “par elles-mêmes“ […]. L’homéotechnique n’avance plus que sur le chemin du nom-viol […]. Elle doit miser sur des stratégies coopératives, co-intelligentes, co-informatives. Elle a plus le caractère d’une coopération que d’une domination. (p. 91).

L’avènement d’une culture homéotechnique est cependant retardé, contrarié par « l’habitus du viol dans [le] rapports avec l’Étant en général », par ce que les tenants de la Théorie critique appelaient la raison cognitive-instrumentale, par « l’alliance des très hautes technologies et de la subjectivité basse » (p. 94). « Les habitudes et contraintes acquises au cours d’une ère entière, consistant à diviser par le viol des relations complexes, ne se dissoudront pas du jour au lendemain… » (p. 97). « Les seigneurs et les violeurs » auront tendance à recourir aux « habitudes allotechniques » dans le domaine de l’homéotechnique » (p. 95), autrement dits à traiter les gènes comme une matière première et l’ingénierie « anthropoplastique » à des fins de domination. On peut s’attendre, ajoute Peter Sloterdijk, « à ce que cet habitus soit réfuté par ses propres échecs » (p. 98). Mais « on peut aussi se demander si la pensée homéotechnique – que l’on annonçait jusqu’ici dans des rubriques comme l’écologie et la science de la complexité – détient le potentiel permettant de libérer une éthique de relations sans ennemi et sans domination » (. 95).

Autant reconnaître que l’échec que Sloterdijk prédit à long terme aux seigneurs et aux violeurs n’entraînera pas par lui-même « la réforme de la pensée, devenu vital ». Il risque d’entraîner au préalable l’avènement de monstres et la fin du genre humain. Qui donc mènera la nécessaire « bataille de l’esprit » ?
(pp. 149-150)

La distinction entre « allotechniques » et « homéotechniques » est essentielle et fonde l’écologie politique. L’écologie est une chose trop sérieuse pour la laisser aux politiques et l’absence de distinction permet d’expliquer pourquoi un parti politique se réclamant de « l’Écologie » se perd en querelles internes (ou, comme en Suisse, se scinde en « parti des Verts » et en « Verts libéraux »).

La distinction entre allotechniques et homéotechniques permet peut-être de substituer une vraie réflexion aux insultes de technophilie, technophobie, « maurassien », « khmers verts », etc. pour enfin se consacrer à l’écologie dans son sens le plus vrai, celui de l’économie dans son sens le plus ancien de « gestion du ménage commun ».

La distinction permet aussi de poser des diagnostics assez sûrs sur des comportements permettant simultanément de faire rouler des voitures électriques Tesla, de lancer des fusées « écologiques » car réutilisables et de préparer l’évacuation de la planète (pour les plus favorisés) vers Mars, quand la planète Terre sera épuisée.

Il faudrait envisager une actualisation des concepts d’allotechnique et homéotechnique avec la notion de « producteurs de néguentropie » dont parle Bernard Stiegler et les mettre en rapport avec l’expérience de ce dernier (avec Patrick Braouezec, Ars Industrialis, etc. *), Plaine Commune « le premier territoire apprenant contributif ».
* Pour le détail du projet d’expérimentation territoriale de Plaine Commune, Projet Plaine Commune

Puisque j’évoque Bernard Stiegler, on (re)lira avec intérêt son livre de 2013, Pharmacologie du Front National (Paris, Flammarion). Comme pour l’écologie qu’il s’agit de « désincarcérer » de la gauche de la droite, il faudrait arrêter de diaboliser les électeurs du Front National. Pour la plupart, il ne s’agit pas d’obscurs xénophobes au couteau entre les dents, mais de citoyens privés de territorialité et menacés dans leur style de vie. Et en disant cela, on ne prétend pas être amoureux de Monsieur Le Pen et de sa descendance

** À Signaler la sortie, en mars 2017, d’un livre d’Edgar Morin, Connaissance. Ignorance. Mystère. (Paris, Fayard). Les habitués de Morin n’y trouveront pas de scoop, mais ceux qui ne connaissent pas auront là une excellente vision de sa pensée.

Les hommes politiques en font trop, mais ils n’ont pas les moyens d’en faire assez. Aimé Shaman