Le Concours Lépine n’est pas l’invention d’une nymphomane.Aimé Shaman

Quand nous étions gamins, la médecine scolaire nous palpait, nous agrippait les génitoires et nous demandait de tousser.. Connaissance et savoir dans le toucher et la proximité. Endosomatique.

À 20 ans, debout en pantalon, à 3 mètres devant un médecin militaire. Après m’avoir regardé, il affirme que je n’ai pas de varices ! Pouvoir du savoir de l’expert dans le visuel et la distance. Endosomatique qui se prépare à l’exil.

A 50 ans, à côté d’un radiologue qui me commente un I.R.M. de ma colonne vertébrale. L’image regarde l’expert et lui parle. Sans un regard pour moi, l’expert me parle d’une partie de moi dont l’identité est ramenée à cette partie. Pouvoir dans la connaissance qu’on prête à l’image et savoir du traducteur. Mise à distance de l’humain (l’expert comme le traducteur) et pouvoir de la machine qui fournit l’image. Exosomatique.

60 ans. Je me fais opérer. Je ne peux pas dire ce qui s’est réellement passé car, heureusement, je dormais, mais on m’a expliqué que des robots sont entrés à l’intérieur de moi, qu’ils ont fourni des images et que, manipulé par un chirurgien, ils ont coupé, recousu, bref… fait ce qu’il fallait. Savoir des robots et connaissance du chirurgien qui agissaient conjointement sur moi, réduit à une image. Exosomatique.

Prochaine étape : on aura grammatisé le chirurgien dans les robots. À son tour, le chirurgien passe de l’endosomatique à exosomatique. Illusion du robot à l’endosomatique dans l’oubli du raccordement au réseau d’énergie.
Arrivés à ce stade, nous serons passés de la connaissance synaptique au savoir algorithmique.

L’endosomatique identifie une responsabilité morale quand l’exosomatique exige la recherche dans le droit : judiciarisation.

L’endosomatique fonde la connaissance dans la fréquentation quand l’exosomatique impose le savoir dans l’expertise et la consultance : grammatisation.

Dans les systèmes où les pratiques transitent de l’endosomatique vers l’exosomatique, les économies d’énergie sont impossibles car les énergies de transfert sont de l’ordre du non renouvelable. Et tout ceci a commencé il y a bien longtemps, bien avant la mise en mémoire dans l’écriture.

Olivier Rey, 2014, une question de taille, Paris, Stock.

Le mot « progrès », qui jadis signifiait simplement un mouvement en avant, bénéfique ou maléfique (ont parlé des progrès d’une maladie, d’un incendie, de l’ennemi, etc.), est devenu le bien en soi. Symétriquement le mal absolu qui, pendant des siècles, a eu pour nom Satan, s’appelle aujourd’hui « retour en arrière », et son petit frère est « immobilisme ». Ce n’est qu’un détail, mais qui ont dit davantage que de longs discours : le déferlement d’éloges dithyrambiques auquel la mort du fondateur et dirigeant de la firme informatique Apple a donné lieu en octobre 2011. Martin Aubry, alors premier secrétaire du Parti socialiste français, s’est particulièrement enflammée : « chapeau bas à Steve Jobs, créateur de génie qui a révolutionné notre vie quotidienne, notre façon d’être informés, d’écouter de la musique, de partager. » Aucune interrogation sur le fait de savoir si l’iSociety est préférable à la société tout court, si la « convivialité » des « systèmes d’exploitation » informatique est au service de la vie ou de son aliénation, si le « partage » en ligne et vraiment du partage ou, plutôt l’exacerbation d’une lutte générale des ego pour la visibilité, un parachèvement de la société du spectacle où chacun devient le metteur en scène lui-même – en bref, si Steve Jobs a révolutionné notre vie en bien ou en mal ; il l’a révolutionnée et cela suffit. (p. 77).