Charbonneau et Ellul… des pionniers (2)

Charbonneau et Ellul… des pionniers (2)

Tiré de Nous sommes des révolutionnaires malgré nous. Textes pionniers de l’écologie politique. (2014. Paris. Édition du seuil. Collection Anthropocène)
Le sentiment de la nature, force révolutionnaire. (Bernard Charbonneau. 1937)
La puissance de ce sentiment [de la nature], son universalité, sont parmi les faits les plus étranges de notre temps ; ce sentiment a fini par animer l’alpiniste qui fait des ascensions seul et les masses de la Jugendbewegung, et pour les personnes comme pour les masses, c’est une nécessité vitale. […] Seuls les inconscients et les hypocrites finissent par faire de leur activité professionnelle ou politique le centre de leur vie ; […].
Pour tous ceux qui ont encore un naïf désir de vivre, qui ne végètent pas dans l’estomac du monstre social, il n’y a plus qu’une solution, attendre la fin du travail ; le terme « vacances » finit par avoir une signification aussi forte pour l’adulte que pour l’élève bouclé dans un internat, car la société actuelle est aussi fermée qu’un internat. […] En vain, des ministres essaye de nous persuader que les loisirs, c’est une rigolade ; non, c’est le travail artificiel imposé par la société actuelle qui mérite d’être traitée avec ironie ; nos loisirs, affaire secondaire ?(pp.122-123)

Le propos de Charbonneau garde toute son actualité excepté qu’aujourd’hui, une politique des loisirs (Freizeitgestaltung) en ont fait un travail : même en vacances, nous ne pouvons plus « vivre sans arrière-pensée, chemise ouverte, faisant des calembours, connaissant enfin la joie d’apaiser notre faim et notre soif » (p. 123). Les bouchons nous attendent au col du Perthus comme nous surprend la grève d’Air France à Roissy ou celle de la SNCF, Gare d’Austerlitz.

Si la société a pu se constituer en dehors de l’homme et de la nature comme un monde autonome, c’est grâce à la technique. Par elle, notre univers, de naturel, est devenu « humain, trop humain » ;Plus de bois, plus de bêtes sauvages, mais la ville, la campagne, la guerre ou la crise. Les dernières zones de nature libre paraissent condamnées et s’il reste encore des pays sauvages, c’est par un raffinement d’organisation. […] La technique a un rôle, mais la technique ne libère que les masses : des consommateurs, des Français, des producteurs de blé ; de telle liberté nous traverse, mais la vraie liberté dit « à Toi » et prend par la main (pp. 172–173)
La technique, en assurant le confort, permet aux hommes de vivre en eux-mêmes ; en diminuant la puissance d’initiative, elle les y force dans les pays évolués et dans les classes riches, l’homme n’a plus le choix qu’entre une passivité d’esprit complète, ou une agitation qui se nourrit de ces raffinements, une vie extérieure figée et une vie sentimentale à vif. Le seul plaisir possible est de jouer avec ces états d’âme, il aboutit à cette impressionnisme morbide qu’a traduit la littérature d’après-guerre. (p.175).

Le rusticisme, c’est la lampe tempête sans la tempête.Aimé Shaman