Démocratie qu’on prise…

Démocratie qu’on prise…

…. et qu’on prend !

Démocratie,nf. : Système politique dans lequel le peuple dispose de l’intégralité du pouvoir pour autant qu’il se soumet aux exigences de ceux qui le détiennent. Se dit également d’un régime politique dans lequel chaque individu se voir reconnaître un droit imprescriptible à l’obtention de ce qui lui est objectivement inaccessible et ne peut pas se voir interdire ce qui lui est manifestement impossible d’avoir.

Stéphane Legrand. Dictionnaire du pire

Un livre de David Courpasson, chez Bourin éditeur : Cannibales en costume, illustration d’effets secondaires de la gouvernance par les nombres. Description qui illustre la dynamique à l’œuvre dans le régime nazi, le parallèle étant très bien démontré dans le livre de Johann Chapoutot (2020), Libres d’obéir. Le management du nazisme à aujourd’hui.

Comme annoncé dans mon précédent billet, je vais mettre en évidence des extraits du livre de Julia Cagé (2018), Le prix de la démocratie.

D’abord un survol de la table des matières. Première partie – Quand les pauvres paient pour les riches. Dont le Chapitre 3. Les réalités du financement privé : quand l’impôt de tous finances et préférences conservatrices d’une poignée. Et le chapitre 4. Au-delà de la politique : le financement privé du bien public. Deuxième partie – Les occasions manquées. Dont le Chapitre 6. Le financement public de la démocratie : un système en danger. Et Chapitre 7. Les dérives américaines, un risque qui menace l’Europe ? Troisième partie – Sauvons la démocratie ! Pour une refonte de la démocratie politique et sociale. Dont le Chapitre 10. Pour une démocratisation du financement « privé » de la démocratie et une refonte du financement public des partis. Et chapitre 11. Pour une assemblée mixte : sociale et politique. Et, en Conclusion, Les conditions de la démocratie « en continu ».

Je relèverai naturellement plutôt ce qui concerne directement la France. Et ce n’est pas un scoop, l’argent joue un rôle de plus en plus déterminant dans les élections « démocratiques »: s’il ne fallait retenir qu’une chose, c’est qu’en France, l’argent des pauvres subventionne les dons que les riches font aux partis.

Toujours le même principe : entre ( ), les pages de l’ouvrage, et [ ], mes commentaires ces réflexions. Pour mieux commenter ces derniers, les caractères sont de couleurs différentes. J’ai omis de dire, dans mes billets précédents : les notes et références internes aux textes originaux ne sont pas prises en compte, sauf mention spéciale.

Julia Cagé, 2018. Le prix de la démocratie. Paris. Fayard.

Et, dès l’introduction, Cagé annonce la couleur.

L’argent se tient au centre du jeu politique ; la démocratie, c’est  à qui paie gagne. (13). Une statistique pour résumer l’absurdité – et l’injustice – du système français : en 2016, l’État a dépensé 29 millions d’euros en réductions d’impôt associées aux  seuls dons aux partis pour les 10 % des Français les plus riches, soit plus de 21 fois plus que ce qu’il a dépensé pour la moitié la moins aisée des contribuables. Et il a dépensé autant pour les seuls 0,01 % des Français les plus aisés que pour l’ensemble de cette moitié la plus défavorisée. (15). Au XXIe siècle, ce ne sont plus tant les diplomates qui prennent le pas sur les hommes d’action, que les hommes d’affaires qui le prennent sur les décisions de nos élus. D’ailleurs dans un pays comme les États-Unis, les ambassades sont à vendre… Les riches aussi, ça ose tout – c’est même à ça qu’on les reconnaît. (17).

[Les détails seront dans le chapitre 3. Mais déjà, 2 réflexions : les dons, limités en nombre et avec des maxima, par parti et type de scrutin, donnent lieu à des réductions d’impôts pouvant atteindre 66 % des sommes versées. Il suffisait donc de créer des partis… Depuis le succès des téléphones portables, les cabines téléphoniques pouvaient être récupérées comme sièges de ces micro-partis Une tendance commune aux États-Unis, en Europe et France : l’effondrement généralisé de la participation aux élections législatives (env. 20-30 % de moins). Dès lors, une question que pose l’auteure : en refusant de consacrer davantage d’argent public au financement de la démocratie, ne fait-on pas le jeu des intérêts privés ? (21)].

La fin des partis ? Une autre réponse souvent apportée à la crise de la démocratie électorale – et du principe de représentation – est le refus des partis. […] Ainsi, les partis seraient le signe tout à la fois de la démocratisation du système politique et de sa marchandisation. Pourquoi, dès lors, ne pas y laisser entrer l’argent ? Le nihilisme face aux partis nourrit les dérives des financements privés. (22).

Qui entend-on alors crier contre la démocratie ? Pas les ouvriers, non. Mais ceux qui en ont l’argent et ceux qui en ont le temps. […] Libertarianisme contre démocratie ? Cette opposition se formalise d’abord dans le refus des milliardaires de la high-tech de payer des impôts. (24) J’étudierai les multiples moyens, des think tank aux médias en passant par toutes sortes de fondations, […]. Car les fondations – souvent généreusement subventionnée par l’État à travers de nombreuses déductions fiscales – permettent à une poignée d’individus de se substituer aux choix démocratiques de la majorité. (24-25) […] Il est important de souligner cette dérive de nos sociétés avant-gardistes : la capture démocratique sous couvert de bien public, car nombreux sont ceux qui se laissent prendre dans la toile de ses communicants 2.0 et finissent par applaudir à la prétendue générosité des exilés fiscaux mondialisés. Alors que, en vérité, ce sont les prémices d’un nouveau régime censitaire qui se dessine ici. (25)

[Les stratégies de gains fiscaux peuvent se parer des nobles habits de la philanthropie. Seuls ceux qui ont de l’argent peuvent faire valoir leur préférence, tout en passant par des bienfaiteurs qui pallient, par leur mansuétude, les défaillances des États – alors que c’est la mansuétude fiscale de ces derniers à leur égard qui leur permet de se faire passer pour des bienfaiteurs. Le gain fiscal comme exhausteur d’ego : l’incendie de Notre-Dame de Paris devient le moyen de montrer celui qui a le plus gros… gain de Bernard Arnault ou de Monsieur Pinault. Comme l’auteur le dira : « Quand l’impôt laisse la place aux fondations, alors le risque est fort que la démocratie ne soit plus que le façade (30) »]

© Xavier Gorce

En France, si rien ou presque n’a été fait jusqu’à la fin des années 1980, de nombreuses lois ont été mises en place depuis 1988 visant à limiter le financement privé de la politique et, contrepartie à cette limitation, à penser son financement public. (62). Jusqu’en 1988, les partis politiques étaient de simples associations au sens de la loi de 1901 « relatives au contrat d’association ». Aujourd’hui, les dons des entreprises aux campagnes comme aux partis politiques sont interdits par la loi. Les dons de personnes privées aux parties ou groupements politiques sont plafonnés à 7500 € par individu et par an. Les dons aux campagnes électorales – qu’il s’agisse des campagnes présidentielles, législatives ou encore municipales – sont limités à 4500 € par élections. – Voir note 1 (65). Autrement dit, 7500 €, c’est plus de la moitié du salaire annuel d’un smicard ; on voit mal comment celui-ci pourrait tirer pleinement parti de l’opportunité qui lui est donnée de contribuer au bon fonctionnement du jeu démocratique. 7500 €, c’est également plus de quatre mois de salaire net médian en France. On imagine tout aussi mal un citoyen – même le plus engagé – dépenser plus du tiers de ses revenus annuels au financement du jeu politique ! (67-68). On serait également tentée de dire – tout en grinçant des dents – que ces 2 % de généreux donateurs en ont eu pour leur argent puisque, pour un coût modique de 2550 € une fois pris en compte les avantages fiscaux, les 100 Français les plus riches ont obtenu de gagner chacun 1,5 millions d’euros par an de réduction d’impôt avec la présidence Macron et ce dès les premiers mois du quinquennat. Soit un retour sur investissement de près de 60 000 % pour ceux d’entre eux qui auraient contribué ! (69).

[On ne va pas refaire l’histoire de l’écrivain qui achetait ses livres pour pouvoir toucher des droits d’auteur, mais il faut reconnaître que les déductions fiscales permises par les dons aux partis permettent un magnifique retour sur investissement, en s’attachant des obligés qui sauront reconnaître leurs obligations, lors des différents votes, dans les différentes assemblées. Le financement privé de la démocratie permet donc de générer et d’entretenir les inégalités, ce qui est pour le moins contradictoire avec les prétentions de cette démocratie.].

Or, pour bénéficier d’une déduction d’impôt, encore faut-il être imposable au titre de l’impôt sur le revenu… – Note 2 : Il est important d’insister ici sur le fait que les individus non imposables au titre de l’impôt sur le revenu paient néanmoins des impôts en France. Les travailleurs à bas salaires sont en effet des contribuables lourdement imposés, avec des taux effectifs d’imposition de l’ordre de 45 à 50 % (du fait, par exemple, des impôts sur la consommation et des cotisations sociales), alors que ces taux sont de 30 à 35 % pour les plus riches […]. (70).

Pour le dire autrement : le système actuel est tel que les riches ne paient au final qu’un tiers du montant des dons qu’ils font aux partis ou aux candidats de leur choix, le reste étant payé par l’État, c’est-à-dire par l’argent de nos impôts (en particulier la TVA et autre impôts indirects, que tout le monde acquitte, notamment les plus pauvres), alors que les citoyens les plus modestes, eux – ultime paradoxe ! –, paient plein pot leurs contributions politiques. […]. En d’autres termes, la moitié des Français les plus pauvres ne peut pas se faire rembourser une partie de ses cotisations, alors que la moitié des français assujettis à l’impôt sur le revenu le peut. (71). Ainsi en France, plus on est pauvre, plus on paie pour participer à la démocratie sociale et politique… (73). Si tous les Français décidaient de donner autant que les plus riches font actuellement […] le coût total serait alors de 165 milliards d’euros, c’est-à-dire plus de trois fois le budget total de l’éducation nationale. […] (76). Si l’on veut le rendre plus égal, c’est donc l’ensemble du système qu’il faut modifier. Un système que l’on pourrait être tenté de qualifier aujourd’hui d’hypocrite puisqu’il s’affiche comme « fait pour tous », alors qu’en réalité il n’a été pensé que pour une minorité. Seule une refonte égalitaire plus profonde permettrait de sortir de cette hypocrisie : c’est le sens de ma proposition de « Bons pour l’égalité démocratique » […] (77).

[Ces extraits se passent de commentaires. Cela me rappelle une image prise par Alain Touraine, cela fait bien longtemps, et que je ne peux garantir transcrire fidèlement. Il comparait la société à un ballon de rugby posé sur la pointe. La pointe la plus haute, les « riches » n’a pas besoin de l’État et même participe à son administration – et pas en sa défaveur naturellement. La pointe la plus pauvre survit grâce aux aides sociales et, à part ça, n’a rien à espérer de l’État. Au milieu, dans la partie la plus renflée, la classe moyenne avec la classe moyenne supérieure qui rêve de se retrouver en haut et craint de perdre les « privilèges » que lui donne surtout son revenu. Et la classe moyenne inférieure, qui craint de tomber en bas et joue au loto dans l’espérance d’un gros lot qui lui permettrait de vivre au-dessus, sans avoir besoin de travailler. Personnellement, je pense que les réalités observées par David Courpasson dans le monde du travail résultent de cette dynamique, à l’intérieur de la classe moyenne].

[…], ramenée au nombre de contribuables, la dépense privée des 291 000 donateurs est plus de 160 fois supérieure à l’investissement public dans les partis politiques. Et la concentration de ces dons entre les mains des donateurs les plus riches s’est aggravé au cours des dernières années, […] (88).

© Julia Cagé. Fig. 14. p. 94
© Julia Cagé. Fig. 15. p. 95

Autrement dit, ce sont seulement les plus riches parmi les riches qui contribuent financièrement à la vie politique. (93).

Une autre façon d’appréhender l’inégale distribution du financement privé de la vie politique consiste à regarder la distribution du montant des dons par déciles de dons (figure 17). […], le don moyen des 10 % des plus gros donateurs est de 84 fois plus élevées que le taux moyen des 10 % des plus petits donateurs […]. C’est donc à nouveau tout en haut de la distribution que les inégalités explosent. (96-97).

© Julia Cagé. Fig. 17. p. 97

Autrement dit, dans la démocratie telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, il y a trois catégories de citoyens : les ploutocrates, soi-disant mécènes de la démocratie, mais qui voient en réalité l’État payer pour eux ; les militants, qui consacrent tout à la fois de l’argent et du temps aux partis politiques, et qui pourtant sont les grands oubliés de la générosité fiscale de l’État ; et les citoyens « lambda » enfin, dont on peut dire qu’ils bénéficient indirectement de quelques centimes de subventions publiques que l’État verse en leur nom aux partis, mais qui au final sont les grands perdants de la représentation. (101-102).

Deux modèles de financement apparaissent clairement. D’une part, les parties à gauche de l’échiquier politique (les communistes, les socialistes et les écologistes) reposent majoritairement sur les contributions de leurs élus. D’autre part, à droite, et en particulier chez Les Républicains, ce sont les dons des individus qui sont majoritaires. (125).

Pour conclure, que nous ont appris ces deux chapitres consacrés au financement privé de la démocratie ? Un, que les dons aux partis politiques et aux campagnes sont extrêmement concentrés, les plus riches contribuant financièrement à la vie politique pour une part bien supérieure à la part du revenu total qu’ils représentent, et ce y compris dans les pays comme la France où le montant de ces dons est pourtant limité. […] Deux, si paradoxal et injuste que cela puisse paraître […], la plupart des démocraties occidentales ont mis en place un système de réduction d’impôt tel que les plus favorisés voient leurs préférences politiques très largement subventionnées par l’État, alors que ce n’est pas le cas de la majorité des citoyens. Autrement dit, en démocratie aujourd’hui, non seulement une personne n’est pas égale à une voix, mais ce sont les plus pauvres qui paient pour que les plus aisés puissent s’assurer de l’arrivée au pouvoir du parti de leur choix. (132)

[Comme le disait l’auteure, à propos de l’Italie « Crépuscule démocratique qui ouvre la voie à tous les populismes ». En effet, on constate une sur-déclaration des dons, pour des raisons plus fiscales que politiques, la dimension politique se situant plus dans la protection d’une situation sociale que dans la réalisation d’un projet sociétal. Les conséquences de ce financement public des préférences privées, ce sera des partis de droite richement dotés. Pour les autres, les élus devront reverser une grosse part de leurs indemnités parlementaires pour remplir les caisses.].

La plupart [des think tanks français] sont juridiquement « fondations reconnues d’utilité publique » ; autrement dit, ils peuvent recevoir des dons non seulement de la part des contribuables qui bénéficient en retour d’une réduction d’impôt de 66 %, mais également de la part des entreprises, alors que les partis politiques et les candidats ne peuvent plus recevoir de dons d’entreprises en France depuis 1995. Ces dons ouvrent en outre droit à une réduction de 60 % de l’impôt sur les sociétés ou sur le revenu (dans la limite de 5 pour 1000 du chiffre d’affaires). (137).

© Julia Cagé. Fig. 37. p. 142

[Point n’est besoin de multiplier les citations. La démonstration convainc suffisamment et démontre que la démocratie n’est plus une affaire politique mais un outil de stratégie fiscale avec, au passage, un désengagement de l’État, dans ce qui devrait être sa tâche principale à savoir la préservation du politique, donc de la démocratie. Dans mon précédent billet, on a vu comment les espaces abandonnés par l’État étaient occupés, à leur avantage, par les philanthropes. D’ailleurs, dans son ouvrage, l’auteure se demande s’il n’y a pas contradiction entre philanthropie et démocratie, la philanthropie étant aujourd’hui un vrai pouvoir : celui de l’argent].

Une autre dérive à laquelle sont confrontées nos démocraties noyautées par les dons des philanthropes est la capture d’une partie du milieu intellectuel par cet argent privé, avec une confusion croissante entre ce qui relève d’une part de la « science », et d’autre part de la « recherche » financée par des groupes d’intérêts aux motivations douteuses. Naomi Oreskes et Erik Conway parle à ce sujet de « marchands de doute ». (162). […] Ces marchands de doute ont fait preuve d’une efficacité à toute épreuve car, en particulier dans le domaine de la santé, quand le doute prend le dessus, tant que la controverse est active, il est impossible pour le politique de réguler comme il le devrait (c’est-à-dire en fonction de l’intérêt général). (163).

[Qu’il s’agisse du débat sur les OGM ou de la confusion communicationnelle actuelle à propos du Covid 19, je pense que nous avons là de très beaux exemples et qu’il n’y a pas besoin de chercher très loin pour en trouver d’autres. Et c’est pourquoi poussent comme des champignons les spécialistes « en communication » qui devraient plutôt être appelés « stratèges en désinformation ». Les milliardaires s’offrent des média qui perdent leur indépendance, dépendants qu’ils sont des budgets publicitaires (mentionnons en passant que ces mêmes milliardaires, propriétaires de journaux, bénéficient, en France, en plus, de l’aide à la presse, pour leur distribution].

Ainsi malgré les plafonds existants aux dépenses électorales et les limites aux dons privés, l’argent joue un rôle important dans la politique française, et parfois même un rôle déterminant pour le résultat des élections. (310).

Certains voudraient nous faire croire que, dans ce nouveau monde « désintermédié », l’argent ne jouerait plus qu’un rôle marginal en politique […] sauf que tout cela est faux. Faire de la publicité sur les réseaux sociaux, mettre des vidéos en ligne, créer sa chaîne YouTube, cibler les électeurs, recruter un ou plusieurs community managers… tout cela a un prix, et ce prix est élevé. Demandez à Jean-Luc Mélenchon combien lui ont coûté ses hologrammes ! (322).

Oui, l’argent capture aujourd’hui le processus démocratique, interrogeant la réalité même de l’idée de représentation. Oui – et c’est encore plus grave –, au-delà du processus électoral, cela se reflète directement dans les politiques publiques qui sont chaque jour mises en œuvre et qui, à l’image de la flexibilisation à l’extrême du marché du travail ou des multiples cadeaux fiscaux faits aux plus riches, ne traduisent que les préférences des plus aisés, contre les intérêts mêmes des plus modestes. Oui les choix politiques effectués au cours des dernières décennies ont conduit en Europe comme en Amérique du Nord à un système paradoxal où, sur le papier, la majorité vote, mais où, dans les faits, une minorité toujours plus réduite – et toujours plus riche – décide. (329).

[Les deux premières parties du livre étaient nécessaire pour rapporter les faits et soutenir l’argumentation. La troisième partie propose une refonte de la démocratie politique et sociale. Dépassant les constats et bilans, l’auteure , dans cette troisième partie, fait des propositions].

En France, l’historien Pierre Rosanvallon est sans doute celui qui a le plus réfléchi à l’histoire et au devenir du gouvernement démocratique. Pour reprendre ses mots, qui résume d’une certaine manière ce que nous avons vu jusqu’ici, « nos régimes peuvent être dits démocratiques, mais nous ne sommes pas gouvernés démocratiquement ». (339). […] Selon lui, le système des partis n’a plus aujourd’hui aucune fonction représentative. Pourquoi ? Par ce que, alors qu’ils ont longtemps animé le débat public et ont été des vecteurs d’expression des identités sociales, les partis politiques semblent aujourd’hui réduits à une fonction résiduelle : la sélection des candidats. Pour Rosanvallon, cela tient en grande partie à leur professionnalisation ; les groupes sociaux ne s’identifient plus depuis longtemps aux partis. (339-340). […] Je ne peux ainsi qu’être d’accord avec le constat dressé par Pierre Rosanvallon, auquel j’ajouterais une explication alternative : ce déficit d’identification prend racine dans l’absence de représentation. (340). En particulier, le juriste [Dominique Rousseau] pense davantage la représentation du social dans le jeu législatif, puisqu’il propose la création d’une Assemblée sociale. Cette Assemblée sociale serait une Assemblée délibérative, expression de la volonté de la société civile organisée aux côtés de l’Assemblée nationale et du Sénat – elle succéderait au Conseil économique, social et environnemental. Ses membres seraient élus de façon à tenir compte « des forces productives dans la vie économique et sociale, des grands secteurs d’activité […] et des formes dans lesquelles ces forces et activités sont organisées ». Cette idée est innovante puisque, en lui donnant un pouvoir délibératif – et non simplement consultatif –, Rousseau fait de cette troisième chambre une « véritable assemblée ». (341-342).

En Suisse, on peut faire remonter le référendum d’initiative populaire – appelée « votation » – à la fin du XIXe siècle avec l’instauration du référendum facultatif en 1874 et l’introduction de l’initiative populaire en 1891. (346). […] C’est d’ailleurs souvent l’exemple suisse qui est pris comme modèle en France, où le référendum d’initiative populaire est en débat depuis de nombreuses décennies. Pourtant, le référendum d’initiative populaire existe de fait en France depuis quelques années ! Vous ne le saviez pas ? Pas très étonnant, car la mesure qui a été introduite lors de la révision constitutionnelle de 2008 (mais n’est entrée en vigueur que le 1er janvier 2015) est telle que, jusqu’à aujourd’hui, aucun élu ne s’en est emparé. Et pour cause : plutôt que de prévoir « simplement » que, lorsque suffisamment de citoyens se mobilisent sur telle ou telle question, un référendum est organisé, la mesure requiert que, dans un premier temps, un cinquième des parlementaires dépose une proposition de loi dite « référendaire ». D’où le nom de « référendum d’initiative partagée » – et non pas « populaire ». Rien de « populaire » non plus dans la « fraction » du corps électoral nécessaire selon la loi française : rien de moins que 10 %, soit plus de 4,5 millions de citoyens ! Autrement dit, encore une belle promesse impraticable. (346-347).

[On voit là la difficulté des Jacobins à prendre en compte « la base ». Et pour que le peuple existe dans le lancement de l’initiative, il faut la masse. Dès lors, il ne faut peut-être pas s’étonner si, ce qui pourrait donner lieu à des initiatives populaires, se transforme en revendications populistes.].

Si l’objectif est tout à la fois de mettre fin à la capture du processus électoral et de résoudre le problème du déficit de représentation, pourquoi en effet ne pas s’en remettre à la chance ? Autrement dit, pourquoi ne pas remplacer nos Assemblées actuelles par des parlements composés de citoyens choisis au hasard ? Avec un nombre suffisant de parlementaires, le hasard garantit de fait la représentativité et, si élections il n’y a plus, disparaissent dans les faits toutes les dérives associées. (354-355).

[Pourquoi en effet ne pas s’en remettre à « l’intelligence collective » ? L’auteure, écrivait, page 345, que le peuple suisse avait rejeté « heureusement » l’initiative populaire de suppression de la redevance pour financer l’audiovisuel public. On peut voir la l’effet d’une intelligence collective.].

© Gary Larson

Je ne rapporterai pas des extraits des chapitres 10 et 11, où Julia Cagé fait des propositions de démocratisation du financement privé et d’une refonte du financement public des partis.

Elle fait une proposition très originale : les Bons pour l’égalité démocratique (BED). « Chaque citoyen, quels que soient ses revenus, dispose du même montant de financement public. Ce système égalise parfaitement l’expression des préférences politiques de l’ensemble des citoyens ; […] » (376)..

Une autre proposition : l’introduction de la mixité sociale à l’Assemblée nationale. « Ce que je propose, c’est que demain, dans chacune de ces assemblées, une proportion significative des sièges – mettons un tiers pour fixer les idées, mais cela pourrait être la moitié ou même davantage – soit réservée à des représentants élus à la proportionnelle sur des listes représentatives de la réalité socioprofessionnelle de la population. Autrement dit, je propose que ces listes soient « paritaires » sur le plan de la composition sociale, dans le sens où elles devront comporter le même pourcentage de candidats issus des catégories populaires que leur proportion dans la population. (418).

 J’aurai l’occasion d’y revenir dans un billet prochain. L’originalité de la proposition mérite un traitement en détail, que la longueur du présent billet ne permet pas. Je laisse la conclusion à Julia Cagé : « Les classes populaires doivent réinvestir la politique et la démocratie électorale. Les syndicats, les nouveaux mouvements politiques et les organisations citoyennes doivent lisier des en soutenant l’idée d’une Assemblée mixte, grâce à laquelle ils pourront présenter leur propre candidat à la députation. »

Pour une démarche tendant à / tentant de renouveler le jeu démocratique et proposant des pistes stimulantes: Consciences CitoYennes (J’y consacrerai certainement un billet).

(A suivre…)

Coronavirus : Haro sur le Bolson !

Aimé Shaman