Des moches -Craties … _ 3

Des moches -Craties … _ 3

Kratos (Cratos) and Euphrosyne (Euthymia) © Meisterdrucke

Grec Kratos ou Cratos : est une divinité représentant la force, le pouvoir, la vigueur. Grec Archos : Maître, chef, dirigeant.

Il faut que l’imagination pense trop pour que la pensée ait assez.

Gaston Bachelard.

Par quoi remplacer la démocratie ?

Un ami, chez moi, entre la poire et le fromage : ” Changer la démocratie… Tu la remplaces par quoi ? « . C’est le moment rêvé où l’on tente des réponses plutôt que d’utiliser un joker.

En référence aux étymologies, on pourrait conclure rapidement qu’il faudrait que la démocratie cède la place à la démo-archie.

Si je suis capable de répondre de façon pertinente à la question, cet ami a des excellents fréquentations. Mais selon la réponse que je donne à cet ami, il y a peut-être des chances que cet ami ne soit plus de mes amis car je serai devenu le « représentant » d’un Demos que j’estime ne plus être représenté, donc non repésentatif.

Et fort de ma raison, j’exercerai mon -cratos d’une manière rationnelle. La technique me le permettant, la gouvernance se fera par les nombres [1] : la raison sera devenue aveugle et ma folie parfaitement rationnelle.

[1] Voir Alain Supiot, 2020, La Gouvernance par les nombres Cours au Collège de France (2012-2

Suite au post du 4 mai 2024

Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux 

Debord, Guy. La société du spectacle

Je choisis de de commencer par de l’éthique des droits. Il ne faut pas y voir une préséance, tous les secteurs étant en interaction[1]. Cependant, il me semble que beaucoup de solutions, qui permettraient des changements, bloquent au niveau des droits, car les individus se sentent immédiatement menacés dans leurs libertés individuelles – la prolétarisation des consommateurs et les technologies à disposition masquent parfaitement notre statut d’ego-grégaires.

L’éthique des droits et son effet réversif

L’éthique des droits prend sa source dans la révolution théologico-philosophique du nominalisme. Dieu a créé le monde. Dieu a créé l’homme à son image. La volonté de l’homme est égale à la volonté de Dieu. Après Jean  Dun Scott et Guillaume d’Ockham, l’homme, fondé comme individu, est l’égal de Dieu. Il n’a pas à suivre la volonté : il peut donc exercer son libre arbitre.

Le nominalisme est à l’origine de l’individualisme. À l’époque des lumières, l’homme, par l’exercice de sa volonté, met en action sa raison ; il n’a pas à suivre une croyance. Il n’existe rien d’autre que ce que l’individu perçoit.

Ce mouvement des idées débouche sur une éthique des droits qui trouvera sa réalisation totale dans la Déclaration des Droits de l’Homme.

La réalité du monde n’existant que par ce que les individus en perçoivent, l’éthique consistera désormais à ne pas faire du tort et de respecter la dignité individuelle. Éviter d’infliger des torts aux individus, tel est le fondement de l’éthique des droits.

Les démocraties – mise en œuvre et respect de projets collectifs – se trouvent lestées d’une éthique des droits qui empêchent la réalisation des projets collectifs, pour le respect des droits individuels. Par effet réversif, l’éthique des droits devient une éthique des torts causés aux individus, chaque individu étant fondé à protester contre une atteinte à sa dignité.

Aujourd’hui, les droits se caractérisent plus parce qu’ils représentent plutôt que par ce qu’ils font. Quand il s’agit des droits humains, on s’attarde plus à ce qu’ils proclament qu’à l’effectivité de la proclamation. Si le droit au logement est proclamé comme un droit humain, et la dignité a une valeur dans la charte européenne, la police ne peut pas évacuer les SDF – puisqu’ils n’existent pas – et qui ne pourront donc pas choquer les (consommateurs) sportifs, lors des JO de Paris.

La véritable démocratie, c’est interdire de fumer du tabac et voter la légalisation autorisant le canabis.

Aymé Shaman, allumé

Effet réversif de l’éthique des droits.

Le néologisme « effet réversif » a été employé par Patrick Tort pour désigner, en référence à la pensée de Darwin, « l’effet réversif de l’évolution ».

Droit romain / Droit anglo-saxon

L’éthique des droits implique des modifications importantes dans la pratique de la justice. Effet important de ces modifications sur la justice telle qu’elle se pratique / se pratiquera : nous sommes passés du droit romain au droit anglo-saxon (Common Law).

Différence entre les deux droits :

Ethique des droits
Droit RomainDroit Anglo-saxon (Common law)
TranscendanceImmanence
Humain Sujet Subjectum, Soumis à… un principe transcendant, moral.Humain « libre »          Engagé par contrat « librement » souscrit
Je <> Tu <> IlJe <> Tu
Une « vérité » existeL’accord prime sur la « vérité »
Etc…Etc…

L’éthique a besoin d’un IL référant extérieur – absent dans l’échange, mais commun à ceux qui échangent – pour sortir d’une logique purement contractuelle ou d’une logique égotiste – expression individualiste dans une éthique des droits.

Droit romain.

Trinitaire Je -Tu -Il Sujet (subjectum) soumis à la transcendance (Il) [2]

Il (unaire) est auto-référent. Créé lui-même, il ne s’autorise de personne, qu’il s’agisse de Dieu, du Roi, du Peuple, de la Race, etc.

Droit anglo-saxon.

Immanence. Relation duale Je -Tu. Le problème de la vérité ne se pose pas /  ne se pose plus. Seule importe la validité du contrat. Le rapport contractuel  est supposé d’égalité ; il est adossé à une éthique des droits postulant l’égalité entre les individus. Jusqu’à la caricature.

Madame Nafissatou Diallo, comme individu, est l’égale de monsieur Dominique Strauss-Kahn.

Exemple d’effet récessif de l’éthique des droits.

Dès qu’un contrat posant une transaction financière entre « deux individus » est envisagée, le problème de La Vérité – ici, morale – ne se posent plus.

Qu’importe ce qui s’est passé au Sofitel de New York : les deux parties sont tombées d’accord sur un montant qui dispensera même d’un procès public. Deux individus sont d’accord pour qu’un problème de liberté individuelle soit réglé par un fétiche, l’argent. C’était bien la peine que Zeus envoie Hermès apporter la honte aux humains !

Qu’un potentiel Président de la République française agresse sexuellement ? Circulez, il n’y a rien à voir ! L’accord s’est fait entre individus libres et égaux[3]

Le super-fétiche argent résout les problèmes moraux, ou plutôt fait en sorte que la morale ne se pose pas en dehors de cet étalon [4]

© Angel Boligan

Superbe exemple de schizoïdie.

Pendant que le contrat dissout le viol dans le numéraire, des femmes luttent contre les féminicides, le viol, le harcèlement, la beaufitude, etc.

Pendant que Monsieur Macron prend appui sur la présomption d’innocence pour asséner que Gérard Depardieu, c’est presque la quintessence de la culture française, des actrices, elles, n’en bénéficient pas, et doivent affronter le « Pour réussir, dans ce milieu-là, il faut… ».

Sans parler de Monsieur (Olivier?) Duhamel, du Conseil constitutionnel, force est de constater que les « autorités morales », dont se réclament les démocraties, violent le pacte démocratique – ou qui se prétend tel.

Intermède…

Brûlante actualité de Bernard de Mandeville dont la Fable des abeilles… et sa Recherches sur l’origine de la vertu morale qui ne paraissent jamais, il est vrai, qu’en 1714 ! [5]

Il se trouve que beaucoup des « pires hommes » se trouvent aujourd’hui dans des lieux de pouvoir, en particulier dans le secteur politique. Beaucoup de ses « pires hommes » brandissent le vocable Démocratie pour flatter les « vertueux » en leur donnant l’impression qu’ils jouent un rôle dans l’histoire. Beaucoup de ces « pires hommes » légifèrent en prétendant protéger les « vertueux » des risques que pourrait leur faire courir les « scélérats ». Je soupçonne beaucoup de ces « pires hommes » de s’offrir des journaux et les télévisions pour entretenir une psychose, chez les « vertueux », ce qui permet de renforcer le contrôle et de s’assurer que les « vertueux » le demeure.

Quelles stratégies mettre en place pour que les « vertueux » ne se payent plus des flatteries des « pires des hommes » ? Comment faire pour que les « vertueux » ne s’estiment pas privé de la liberté que l’éthique des droits prétend leur offrir ? Comment faire pour que les « vertueux » se rendent compte que la fausse sécurité se paye du prix de leur vraie Liberté ? Etc. Tout en veillant à établir une éthique des droits, là où les droits humains n’existent pas.

Je n’ai naturellement aucune réponse à ces questions. Mais je crois aux propagations, et j’y crois d’autant plus qu’un des principaux ennemi, à savoir le numérique et les réseaux, devient tout à coup le principal allié. Si l’on prend l’exemple de #MeToo, on peut constater la force des propagations, sans qu’il soit forcément possible dans prévoir les effets. Mais l’efficacité est indéniable.

Petite parenthèse : le Canard enchaîné de ce jour, 7 mai 2024, annonce un article que je me réjouis de lire : Le #MeToo du système affole les producteurs.

Avec la démocratie représentative, la démocratie est devenue le lieu des luttes pour la conservation des pouvoirs. Des techniques visant à la limitation de ses pouvoirs et le rétablissement de gestion de communs des négociations « à la base », pourraient permettre de nettes améliorations, au moins dans la mise en évidence des problèmes, sinon de leur résolution.

Je vois Monsieur Balkany s’agiter au fond de sa cellule ; il ne semble pas d’accord !

Au lieu de poser la question de « Par quoi remplacer la démocratie », il semble préférable de réfléchir à comment restaurer ce qu’elle prétend être. Evidemment, ceci obligerait certains « réformateurs », quelques « socialo-démocrates » – dans des lieux où monsieur Schröder dine avec monsieur Fillon – à sortir de leur zone de confort.

Là où les droits sont étiques, l’éthique des droits est de plein droit.

Aymé Shaman, un peu gauchement