… quand elle a dit ça le grand-père a ben failli claquer. (Ricet Barrier)
René Passet concluait son livre, L’Économique et le vivant (paru en 1979) : « Face à l’avenir qui est en jeu, l’économiste assume une responsabilité particulière. Il lui appartient de pourfendre le fétichisme des choses mortes, participer à l’œuvre de vie qui se poursuit à travers l’espèce humaine et peut seule donner un sens à l’acte de production. » Cette phrase de conclusion devrait se dire à nous convaincre que, aujourd’hui, beaucoup d’économistes de peinture pas dans ce genre de responsabilités.
Je profite de mentionner un autre livre de René Passet, Les Grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire, paru en 2010, aux éditions LLL (Les Liens qui Libèrent). On pourrait imaginer faire figurer ce livre comme ouvrage de base, pour les étudiants en économie, mais il faudrait alors envisager que la connaissance historique de sa discipline peut éventuellement gêner la reproduction d’un modèle qui ne fonctionne pas.
L’histoire n’est pas un catalogue daté d’événements ou de théories figés en différents points du temps, mais le récit et l’analyse de mouvements interdépendants qui se déploient dans l’espace et la durée. Les ruptures brutales qui viennent parfois en bouleverser le cours appartiennent elles-mêmes à cette continuité, car elles ont des causes qui ne sortent pas du néant. René Passet. Les grandes représentations…
René Passet. Les grandes représentations…

Il y a exactement 13 ans, paraissait ce dessin, feuillet d’un calendrier journalier, dans un moment de crise économique. Des « experts » nous prédisent des cycles de 10-15 ans pour ce genre de crise. Ceci porterait-il bonheur à ces dits experts, en renforçant leur capital symbolique?
Je reviens à Jorion et, sinon aux choses mortes, au moins à prendre que l’on a fait agonir, dans une vision a-historique ayant besoin de se convaincre que l’économie est une science exacte.
Toujours le même principe : entre ( ), les nos de pages de l’ouvrage, et [ ], mes commentaires et réflexions. Pour mieux distinguer ces derniers, les caractères sont de couleurs différentes. Les notes et références internes aux textes originaux, sauf mention, ne sont pas prises en compte.
Paul Jorion, 2017. L’argent, mode d’emploi. Paris. Arthème Fayard. (suite)
L’argent fait partie de notre univers quotidien. Très peu nombreux sont ceux qui n’en comprennent pas le fonctionnement au niveau de leur implication personnelle. Cependant, le fonctionnement de l’argent à son niveau global, au sein des sociétés, est très mal compris : des théories divergentes visent à en rendre compte, mais toutes font appel à des hypothèses simplificatrices qui distord de la réalité de manière trompeuse. (33).
Argent et reconnaissance de dette. Le récépissé que je reçois au moment de mon dépôt est une reconnaissance de dette de la banque : […] elle me reconnaît un droit sur une somme équivalente. (34). […] l’argent peut servir à deux opérations symétriques : acquitter une créance, et éliminer de cette manière une dette préexistante, ou donner de l’argent à quelqu’un à qui l’ont n’en doit pas et créer cette fois une créance de lui envers vous. (35).
Dans la plupart des pays, les sommes déposées sur un compte courant sont couvertes jusqu’à un certain montant par une assurance contractée par la banque ou le dépôt a été effectué, le plus souvent par le truchement d’une agence gouvernementale. (36). ; toute somme qui dépasse ce montant dépend de […] sa solvabilité, […] du fait qu’elle possède cet argent ou puisse elle-même l’emprunter, ou de la liquidité de ses avoirs si elle ne dispose pas de l’argent que je lui réclame sous forme d’argent liquide. (36-37).
[Que mon dépôt entraîne reconnaissance de dette et la base du quiproquo : en cas de panique, le bon peuple vient retirer ce qu’il croit être son argent, car, même si il ignore que la loi ne garantit pas la totalité des montants déposés, , c’est comme s’il se doutait que la loi n’obligeait pas le banquier à honorer « le crédit », en réalité, à à payer toutes ses dettes… Ignorant remplaçant mon argent chez lui, je fais crédit au banquier, je me crois obligé de lui dire merci quand il me « rend » tout ou partie de mon argent, de connaître la peur en cas problèmes économiques, et de le supplier de bien vouloir m’accorder le droit de lui signer une reconnaissance de dette. Comme le mentionne Jorion, le capital n’est jamais placé à la bonne place, par rapport à ce qui pourrait en avoir besoin.].
[…] par rapport à l’argent, qui est un vecteur calibré de richesse, une reconnaissance de dette est une trace calibrée de richesses. Par « vecteur », j’entends dire que l’argent porte la richesse avec lui : […]. : mon rapport à l’argent que je possède sur moi est inconditionnel, et c’est pour cela que je le qualifie d’immédiat, alors que celui que j’entretiens avec les reconnaissances de dette dont je bénéficie est conditionnelle, et c’est pourquoi je le qualifie de médiat. Cette médiation introduit un risque dit, dans le jargon financier, de « contrepartie » : le risque de non-retour de mon argent, qui caractérise la reconnaissance de dette. (39).
Tant que les choses vont bien, considérer que l’argent et la reconnaissance de dette, c’est chou vert et vert chou, n’est pas une mauvaise approximation : tout ça, après tout, n’est-ce pas « de la monnaie » ? Quand les choses vont mal, par contre, comme c’est le cas en pleine crise, la différence entre les deux devient manifeste : l’argent vaudra toujours son montant nominal […], alors que la reconnaissance de dette vaudra une somme susceptible de varier entre ce montant nominal est zéro. (44-45).
[J’évoquerai un souvenir personnel. Dans les années 1975, j’étais membre du Club 44, à la Chaux-de-Fonds, et j’appartenais à une commission chargée de préparer des questions à destination des conférenciers, afin d’obtenir un maximum de valeur ajoutée de ces derniers, au cas où la salle n’aurait pas eu – ou pas osé – des questions à poser. Le conférencier était Monsieur Philippe de Weck, alors patron de l’UBS et la conférence était intitulée (si mes souvenirs sont bons) : « Une réussite mal-aimée : les grandes banques suisses. » Je me rappelle avoir discuté avec lui, lors du lunch qui précédait son intervention, avant de lui poser des questions lors de la séance. Mon argumentation était la suivante : l’argent est une marchandise comme une autre ; le banquier est un artisan comme un autre, « quoi que… » ; la matière première de son artisanat, c’est l’argent ; il travaille cet argent ; et la valeur ajoutée produite par le travail, c’est de l’argent, c’est-à-dire, de même nature que la matière première. En outre, si on s’installe comme artisan-banquier, on peut « emprunter » la matière première à un ami qui est acquis à la pratique du don/contre-don, qui ne demande aucune rémunération en contrepartie de ce prêt ; on peut donc commencer son artisanat de banquier, en prêtant contre intérêt, et, au bout d’un certain temps, rembourser l’ami qui avait prêté et garder un stock de matières premières, désormais à lui, qui lui permettront de continuer son activité. Parti de rien, le banquier pourra donc disposer du capital qui lui permettra de répondre à ceux qui en ont besoin et n’en disposeront pas. Pour moi, ce mécanisme était à la base du désamour témoigné aux banquiers, à qui on ne cesse pourtant jamais de recourir.
Aujourd’hui, on pourrait dédramatiser le « problème » de la dette en se l’a représentant comme de la marchandise qui n’a pas été encore remboursée, car la valeur ajoutée qui permet de la rembourser, de même nature et immatérielle, est située dans le futur. La dédramatisation, c’est d’ailleurs ce que font les États quand ils « remettent » la dette d’autres États. On pourra bien sûr objecter que ce sont les impôts des contribuables qui permettent cette remise de dette ; ce point sera à reprendre plus tard. C’est en tout cas ce mécanisme qui permettait à Tibor Mende Gunnar Myrdal d’écrire : « L’aide au développement, ce sont les pauvres des pays riches qui aident les riches des pays pauvres.].
Vendre et prêter. Distinguer avec toute la clarté requise la notion de reconnaissance de dette de celle d’argent oblige à introduire trois notions familières : celles de propriété, de possession et d’usage. Mon argent, j’en ai la propriété, la possession et l’usage […]. Les sommes qui sont miennes par le biais d’une reconnaissance de dette, par exemple celle de La Banque où je dispose d’un compte courant, j’y ai droit sans être le propriétaire, mais je ne les possède certainement pas […]. (45). Bien qu’il n’en soit pas ainsi d’un point de vue juridique, la mise en dépôt d’une somme d’argent sur un compte courant est de facto un prêt, en l’occurrence un prêt d’argent. (46).
[On voit bien là l’intérêt qu’ont les banquiers à entretenir les malentendus. Il suffit de regarder et écouter les publicités faites par les banques attirer les dépôts et pour accorder des crédits. Une analyse des textes de la publicité montre une ambiguïté permanente entre qui doit quoi à qui. La seule concession, en termes de « merci » qui semble faite par la banque à ses clients, c’est pour les remercier de la confiance qu’ils veulent bien témoigner. Car le banquier c’est bien que, sans cette confiance, c’est la totalité du système qui se bloque, voire s’écroule. Voir plus haut, le cas de la panique.].
Je distinguerai d’abord différents types de transactions […]. Une transaction est une transition au moment Ti entre deux états. (47). Le troc peut être envisagé comme un double don simultané, donc comme une transaction double. […]. Le don est altruiste, le troc ne les généralement pas : on suppose que les deux parties y trouvent leur profit, et l’on postule du coup que les « valeurs » de a et de b sont à peu de choses près égales. […] De plus, et selon la loi générale qui préside à la formation des prix, les termes d’un troc peuvent être très déséquilibrés du simple fait d’rapport de force très inégale entre les deux parties impliquées. (48).
[Je renvoie ici un précédent billet consacré à Alain Caillé (5 mai 2020). Voir également ce que je disais plus haut, souvenirs de la conférence du Club 44, à Chaux-de-Fonds.].
Le prochain billet consacré au livre de Paul Jorion, beaucoup de choses seront rendues plus claires, dans la distinction qu’il fait entre « concept théorique » et « notion pré-systématique » et l’exemple qu’il prend pour illustrer son propos.
Et pour conclure, des nouvelles de la schizoïdie qui sera toujours fonctionnelle, dans » Le Monde d’Après « …

Le recours permanent à l’adjectif « durable » devrait faire douter de la permanence des substantifs qu’il qualifie. Oui, c’est également valable pour « responsable » !
Aimé Shaman