Intermède Zoo 3

Intermède Zoo 3

Boursicoti- boursicotons : le manège en chantier…

Je pense avoir déjà parlé du site investir.ch et des commentaires, qui me paraissent un peu iconoclastes, de Thomas Veillet. Iconoclastes, dans la mesure ce monsieur semble parler cash. Et parler cash, à la corbeille, …

Je me suis contenté de relever des extraits de ses billets et ce, très subjectivement, de façon non systématique, dans le but de mettre en évidence les aspects de cette rationalité que nous vend le discours mainstream des économistes. On pourra bien sûr toujours objecter que l’économie, ce n’est pas que La Bourse, mais dans la mesure où l’économie est aujourd’hui la finance, je considérerai cette dernière comme la réalité sur laquelle s’exerce la somme des rationalités individuelles.

Billet du 8 mai 2020. Krach à la hausse. « La première nouvelle de la journée d’hier qu’il faudra retenir, c’est la performance du NASDAQ qui est passée en terrain positif. Ça veut dire que si vous aviez simplement acheté un ETF depuis le début de l’année qui traquait la performance de l’indice américain – l’indice technologique, comme on aime le dire – vous gagneriez de l’argent aujourd’hui. Vous gagneriez de l’argent alors qu’au mois de mars vous étiez en négatif de 35 % et que sur d’autres indices voulaient encore sérieusement. Mais il est vrai qu’aujourd’hui les bourses mondiales vivent en dehors de la réalité et ça ne veut juste plus rien dire. Lorsque l’on fait le bilan des nouvelles d’hier, il y a du bon et du moins bon. Le bon espoir de voir l’économie redémarrer, le fait que tout le monde trouve que le pétrole c’est trop cool et que le rythme des licenciements diminue. La mauvaise c’est que 33 millions d’Américains perdus leur job depuis deux mois, mais ça, aujourd’hui, tout le monde s’en tamponne puisque dès la semaine prochaine l’économie repart et que ça va rigoler un peu partout dans le monde. »

L’espace dans lequel se développe le discours est celui des leçons de catéchisme de mon enfance : la réalité n’existe que par la foi qui fonde l’espoir. Et dans cette église, Thomas Veillet semble un jésuite plus proche du pape François que de Benoît XVI. Je retiens que dans ce monde où l’économie EST la réalité, un commentateur constate que les bourses mondiales vivent en dehors de la réalité. Ce qui est également à noter, c’est la capacité d’écarter les données « objectives » qui pourraient gêner la pratique du wishfull thinking (vœu pieux): on peut oublier les 33 millions d’Américains qui ont perdu leur job puisque l’économie va repartir et, d’ailleurs, déjà, « le rythme des licenciements diminue ».

Billet du 11 mai 2020. 20 millions de chômeurs (en plus) et Wall Street s’en tamponne.

« Des chiffres immondes. Vendredi dernier [le 8 mai] le monde entier retenait son souffle à l’approche des chiffres de l’emploi américain c’est en tout cas l’impression que ça donnait. Pourtant tout le monde s’en foutait, puisque tout le monde savait que les injections monétaires étaient garanties et que plus jamais les bourses mondiales ne baisseraient. Alors 1 million de chômeurs de plus ou de moins autant vous dire que Wall Street s’en moquait presque autant de sa première Aston-Martin. Pourtant, jusqu’au bout nous aménager le suspense et jusqu’à la dernière minute on a cru que les chiffres étaient importants. Mais en fait non.

En fait soyons clairs, plus personne n’en a rien à foutre, sauf peut-être les 20,5 millions de chômeurs américains concernés – mais ça, Wall Street s’en cogne comme de l’an 40, d’abord parce qu’ils n’investissent pas leurs allocations de chômage, ils les utilisent pour manger, et ensuite, pourquoi s’en faire quand on sait que tous les gouvernements de la planète se sont donnés la main pour sauver Wall Street – et puis si il leur reste un peu de temps, on sauvera aussi l’économie. Après. Donc depuis vendredi 14h30, c’est officiel, 14,7 % de chômage ; tout le monde s’en balance – d’abord par ce qu’on savait et c’est bien pour ça que nous sommes allés plus bas le 23 mars et maintenant que tout est dans les prix, y a plus qu’à remonter. Et c’est ce que l’on fait depuis le 23 mars, justement. »

Les commentaires de Veillet pourraient sembler cyniques ; ils me paraissent essayer de tendre vers le réalisme. Le monde de la bourse semble pratiquer la prédiction rétrospective : tout ce qui pourrait gêner la self-fullfilling prediction (prédiction auto-réalisable) est écarté ou justifié rétrospectivement. Et Veillet semble ne pas confondre l’exercice boursier avec l’économie dont on s’occupera éventuellement « après ».

Billet du 12 mai 2020. «I’ll be back » – le retour de la peur du doute de pas savoir.

« Ce qu’il y a de bien dans ce marché, c’est que quoi qu’il arrive, il faut que l’on ait un truc à dire, quelque chose qui justifie le pourquoi du comment de ce qui s’est passé hier. Depuis le temps que j’écris sur le sujet – non seulement je commence à avoir perdu le compte des années – surtout aujourd’hui – mais en plus, je me rends compte que l’on se sent obligé de trouver une raison pour expliquer pourquoi le marché n’a rien fait hier. Ou pourquoi il a fait quelque chose. »

La roue tourne, la roue tourne / Prédisait Madame Irma / La roue tourne, la roue tourne / Quand le camion l’écrasa.

Claude Cerat, Chanteur, Inventeur des chansons-flashes, et injustement oublié !

Ce qu’écrit Veillet valide le commentaire que je notais sur un passage de son précédent billet. Jargon technique différent excepté, on observe des similitudes entre les justifications « du marché » et les explications des voyantes désamorçant les réclamations. Toujours cette pensée magique qui se donne les moyens de croire que le performatif est synonyme de self-fullfilling prediction (prédiction auto-réalisable) et est opérant dans les systèmes complexes.

« Dans les sujets qu’il faut quand même aborder, on notera que Trump est en train de se faire dépasser en terme de production de conneries sur Twitter. Depuis quelques jours, Elon Musk est en train de faire parler de lui à tous les niveaux et à voir ce qu’il se passait encore hier, il n’a visiblement pas l’intention d’arrêter. Récemment le patron de Tesla a réclamé la réouverture de l’économie, traité le gouvernement US de « fasciste », estimé que le cours de l’action Tesla était trop chère et prénommé son 5ème ou 6ème gamin après une formule mathématique qui aurait été croisées avec une recette de cuisine et la liste des composants du Coca-Cola, le voici qui déclare que son usine d’Alameda en Californie rouvrira aujourd’hui, malgré l’interdiction signifiée par l’État et qu’il défiait les autorités de l’en empêcher. Pendant ce temps, l’action Tesla vaut toujours 811$ et personne n’a de doute sur les comportements erratiques d’Elon Musk qui ressemble de plus en plus à Ernst Stavro Blofeld. »

Voilà que me revient en mémoire la notion de « Position de vie », chère à l’Analyse Transactionnelle, et, en particulier l’Enclos OK – souvent imagé en « Rendez-Vous à OK corral ! ». Pour une explication détaillée des positions de vie, je renvoie au Manuel d’Analyse Transactionnelle, de Ian Stewart et Vann Joines. Je présenterai seulement la matrice suivante :

Manuel d’Analyse Transactionnelle, de Ian Stewart et Vann Joines, p. 150

Sur l’axe vertical indique, en haut, « Vous OK » et, en bas, « Vous OK » – où « être OK » signifie que l’on est au clair sur qui nous entoure et sur nous-mêmes. Sur l’axe horizontal, à droite « Moi OK » et, à gauche, « Moi pas OK ».

De cette représentation, bien sûre schématique, découlent 4 « positions de vie » possibles, dans nos interactions avec les autres : 1) je suis OK, vous êtes OK ; 2) je ne suis pas OK, vous êtes OK ; 3) je suis OK, vous n’êtes pas OK ; 4) je ne suis pas OK.

Maintenant que nous savons que « OK » ne renvoie pas au film Les Visiteurs, nous pouvons lire sur la matrice les comportements sociaux que nous vont privilégier ces différentes positions de vie. Où se positionne ce cher Monsieur Musk ? Oui bien sûr, en bas à droite, il se retrouvera, en bonne compagnie, avec Staline et Hitler, entre autres.

© Canard Enchaîné 13.05.2020

Il s’agit de se débarrasser des autres puisqu’ils ne sont pas OK, quand moi je le suis. Il s’agit de m’en débarrasser en les traitant de « fascistes ». C’est un plaisir de se faire traiter de fasciste par la personne qui, avec le projet Starlink et ses satellites, a placé les miradors sur orbite – mais bien sûr, pour notre plus grand bonheur, puisque ce bienfaiteur de l’humanité lui permettra d’accéder plus vite à Internet, que l’on se trouve à Hollywood ou au Sud-Yémen.

« Dans les nouvelles du jour, on retiendra que PNC, le plus gros actionnaire de BlackRock vend sa participation de 22% pour pouvoir « supporter » la crise du COVID19 – avec 17 milliards, ça devrait aller. Les employés de la Maison Blanche sont dorénavant obligés de porter le masque, sauf le patron quand il est à la télé. New York se prépare à rouvrir alors que le nombre de cas de Coronavirus est en baisse, Tesla aussi se prépare à rouvrir, mais sans autorisation.

Et puis, au chapitre banques centrales, la FED va commencer à racheter des ETF obligataires et se japanise de plus en plus et pour parler du Japon, Kuroda, lui se « Draghise », puisqu’il a déclaré que la BOJ ferait « Whatever it can » pour combattre la crise du COVID. La différence entre « it can » et « it takes » n’est peut-être pas énorme, mais si l’on creuse un peu, je dirais que c’est un peu moins motivant que le fût Mario en son temps. En revanche, si tous les banquiers centraux semblent de sortie, Madame Lagarde semble encore confinée cette semaine. »

Dans mon dernier billet, j’évoquais une prochaine bulle sur les EFT, avec BlackRock en vedette américaine… Non, pas d’incohérence, juste mon droit à exercer la voyance ! Je n’avais pas « vu » les décès de sumo, au Japon.

Billet du 14 mai 2020. Et le sixième jour Dieu inventa la dépression et la tartine au Xanax.

« Si l’on voulait gagner du temps et résumer facilement ce qui s’est passé, on pourrait dire simplement que Powell [Président du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale des États-Unis (FED) depuis 2018] nous a lâché. Et que le marché n’a pas aimé. […] Je ne sais pas, peut-être que certains d’entre nous s’attendaient à que Powell passe les taux en négatif et nous fasse une séance de méthode Coué pour nous motiver à y croire. Je pense même que certains s’attendaient à que le patron de la FED soutienne agressivement la théorie du V shape recovery en ce qui concerne l’économie américaine – sauf qu’il n’a rien fait de tout ça.

Jerome Powell s’est contenté de dire ce qui se passe, de montrer qu’il est au bout de ses options, que le reste est dans les mains des politiques et surtout, que le V-shape-recovery de l’économie on pouvait se l’accrocher derrière les oreilles et que les taux négatifs étaient une option qui n’était même pas envisagée à la FED. Sans compter qu’il a également expliqué que l’économie US n’avait rien vu de pire depuis la fin de la guerre 39-45. […] »

Le V shape semble donc se transformer en L majuscule. La journée d’hier semblait donc bien pourrie et nous nous retrouvons dans cette phase d’acceptation qui n’est pas facile à vivre. Nous avions parié sur un rebond rapide de l’économie en espérant que cette période de pandémie allait rapidement se retrouver derrière nous et puis là tout d’un coup, on se rend compte qu’en fait non et que les soirées à Ibiza, ce n’est peut-être pas pour tout de suite voire même pas pour dans trois mois. La FED se retrouve à court d’arguments et il va falloir commencer à envisager le fait que nous sommes peut-être allés un peu vite en besogne en plaçant tous nos jetons sur le 45 à la roulette alors que l’on vient de se rendre compte qu’il n’y pas de 45 à la roulette. »

Pour celles et ceux qui n’étaient pas convaincus que nous étions dans une économie-casino, c’est un pro de la branche qui l’écrit… Un casino qui demande des subventions, quand ça tourne mal ! Je vais non pas conclure, mais m’arrêter après avoir extrait du billet d’hier matin les commentaires concernant le discours de Powell…

Thomas Veillet, Investir.ch

Billet du 18 mai 2020. J’y vais, mais j’ai peur.

C’est la chenille qui redémarre […] Eh bien j’ai une bonne nouvelle pour vous ; ce matin on prend les mêmes et on recommence. Oui, parce qu’hier soir le bon Jerome était à la télévision aux USA – sur 60 minutes – et il nous a dit des choses qu’il n’avait pas dites mercredi, et ça, ça change tout.

Là tout de suite, au milieu la nuit, les marchés sont déjà obsédés par les mots de Powell. Les futures sont en hausse de 1% et l’Asie est en hausse de 0.5% au minimum un peu partout. Je ne dirais pas que c’est de la folie, mais par rapport à l’état d’emmerdement maximum dans lequel nous avons eu l’occasion de nous trouver durant le confinement, ça y ressemble sacrément.

Mais qu’est-ce qu’il a dit alors ? Bon, là vous pouvez vous rasseoir, Powell n’a pas non plus annoncé la révolution économique, ni le fait qu’il tentait un coup d’état pour renverser Trump et encore moins le fait qu’il étudiait les stratégies possibles pour lutter contre l’inflation galopante qui menace sournoisement les USA. Non, Powell a tout simplement dit :

  • Qu’il ne serait pas étonné de voir l’économie se contracter de plus de 30%

Bon, ça on s’en fout parce que ce n’est pas une nouveauté et tout ce qui fait office de banquier central, de stratégiste, de gourou de la finance ou de spécialiste de la lecture dans les lignes de la main ont déjà donné ce genre d’estimations et effectivement, ça oscille entre 25% et 50% – généralement par tranches de 5%, puisque visiblement, quelques soit les moyens avec lesquels ces visionnaires-prévisionnistes travaillent, ils n’arrivent jamais à trouver un chiffre se terminant par autre chose que 0 ou 5. Ensuite Powell a enchainé et il a dit :

  • Il se pourrait que l’économie ne retrouve pas son niveau de pré-crise avant fin 2021 et qu’il faudrait idéalement attendre l’arrivée d’un vaccin pour y arriver.

Ça c’est un peu loin pour nous : « fin 2021 », déjà qu’on ne sait pas ce qu’on fera ce soir. C’est n’est pas une super-phrase motivante, mais comme après il a aussi dit que :

  • « Je ne parierais pas CONTRE l’économie américaine » et qu’il a enchainé avec le mythique :
  • « Nous sortirons de cette crise encore plus fort qu’avant », et sans oublier le fait qu’il :
  • Ne voit pas d’autres dépressions à l’horizon.

Les traders qui font du futures dès le matin aux aurores sont passés en phase orgasmique et tout d’un coup un vent de positivisme est passé sur le monde libre. Il se pourrait que ça ne dure pas forcément très longtemps, parce qu’à la fin on aimerait quand même bien du concret et que pour ça, va falloir être patient, mais disons qu’en attendant ; ça nous permet d’espérer remonter en haut du « range » dans lequel nous vivons depuis un mois et qu’en arrivant là-haut, on se trouvera une mauvaise nouvelle pour calmer le jeu. Une mauvaise nouvelle comme le fait que sur les 36,5 millions de personnes qui ont perdu leur job depuis l’avènement du COVID, seulement 0.5 million ont retrouvé un emploi, malgré le déconfinement magique et le fait que Disney rouvre ses Disney Stores en même temps que les Apple Stores.

Beaucoup de conditionnels, d’évocation de comportements qui rappellent aux anthropologues les descriptions de transes chamaniques… Pour être sûr du statut du réel, il faudra relire Baudrillard.

Et, dans le même temps…

Que disait Coup d’œil, hebdomadaire de la Banque Cantonale Vaudoise, ce même 18 mai ? Et le chapeau, la publication nous rassurait :

BCV, Coup d’œil, 18 mai 2020

Nous sommes de retour dans la réalité !

Miradors allumés, despotisme éclairé.

Aimé Shaman