En faire chez les autres…

En faire chez les autres…

Egoïsme et sots leaders

Alain Supiot présente Bossuet De l’éminente dignité des pauvres. (Editions Mille et une nuits. 2015
pp.58-60 (Les notes de l’auteur ne sont pas reportées ici).

Avec la révolution néolibérale des années 1970 – 1980, l’idée a ainsi fait retour que la pauvreté ne résulte pas de la justice des hommes, mais d’un ordre immanent dont les décrets doivent être respectés. Chez beaucoup de néoconservateurs américains cette loi a gardé sa base religieuse, protestante ou vétérotestamentaires. mais à l’échelle internationale, c’est de l’autorité de la science qu’elle se réclame. Dans un livre au titre éloquent – Le Mirage de la justice sociale –, l’un des pères de l’ultralibéralisme et titulaire du « prix Nobel » d’économie, Friedrich Hayek, explique ainsi que c’est l’ignorance des lois sur lesquelles repose l’économie de marché, qui fait paraître ses résultats irrationnels et immoraux. Dès lors, écrit-il, « la revendication d’une juste distribution – pour laquelle le pouvoir organisé doit être utilisé afin d’allouer à chacun soit quoi il a droit – est un atavisme fondé sur des émotions originelles ». Derrière ces oripeaux pseudo-scientifiques, le fond religieux de l’ultralibéralisme continue pourtant de transparaître. Il repose sur la croyance en une Justice immanente, qui vouerait certains hommes à la prospérité et les autres à la géhenne. Les lois humaines ne devraient pas entraver, mais faciliter son règne, en faisant de la recherche de l’enrichissement individuel la Norme fondamentale de l’ordre juridique. « Les seuls liens qui maintiennent l’ensemble d’une Grande Société sont purement économiques, écrit ainsi
Hayek;ce sont les réseaux d’argent qui soudent la grande société [et] le grand idéal de l’unité du genre humain dépend en dernière analyse des relations entre des éléments régis par l’impulsion vers la meilleure satisfaction possible de leurs besoins matériels. » Répétant une idée encore scandaleuse lorsqu’elle fut pour la première fois avancée par Bernard Mandeville, mais qui passe désormais pour un lieu commun, il peut ainsi conclure que « nous faisons généralement plus de bien lorsque nous recherchons le profit ». Cette philosophie politique, qui fait d’autrui le moyen de mon enrichissement, n’est pas plus compatible avec le principe de dignité qu’avec l’État de droit (rule of law). On peut donc douter qu’elle soit soutenable à long terme.
Mais n’est pas davantage soutenable un État social devenu débiteur universel, car un tel état engendre un peuple de créanciers ne se reconnaissant plus comme mutuellement solidaires. Sur ce point aussi Bossuet nous éclaire. Ce n’est pas en attribuant aux pauvres des droits individuels déconnectés de toute solidarité avec les riches qu’on peut espérer lutter efficacement contre la pauvreté. Aussi louable soient, par exemple, les intentions de la Cour européenne des droits de l’homme lorsqu’elle assimile les droits à prestation sociale au droit de propriété, ce palliatif juridique ne fait qu’étendre l’illusion selon laquelle toute créance pourrait être métamorphosée en titre de paiement, indépendamment de la qualité du débiteur. Ce n’est pas la pauvreté qui est créatrice d’un droit à être secourue, mais la participation à un système de solidarité au sein duquel chacun peut-être tour à tour créancier et débiteur à proportion de ses besoins et ressources. C’est ce qui distingue la solidarité de l’assistance est en fait un instrument de l’égale dignité des êtres humains.

À propos, selon l’O.N.G. Oxfam, combien de % de la population mondiale se partagent combien de % des ressources de la planète.
Comme disait l’autre *, « Je brûle les ressources de la terre, mais j’en ai les moyens ! »

* Nom connu de la rédaction

Quand ton voisin crie de faim, rote et tu n’entendras rien !AIMÉ SHAMAN, SE SOUVENANT DE HARA-KIRI, JOURNAL BÊTE ET MÉCHANT