Gens de partout versus Peuples de quelque part.

J’aimerais revenir sur ces populistes de tous bords qui fabriquent un « Nous », en émasculant les peuples dans une majuscule singulière : le Peuple ! Et pour un besoin structurel, ce Peuple exclue conjoncturellement ce qui dérange sa construction fantasmée.

La nécessité idéologique de faire coller le fantasme au réel – hésitation dans l’écriture entre Réel et réelS – impose un recours à l’artillerie lourde : sortent alors les vocables de « Civilisation », « Culture »*, etc. Le poujadisme s’est fait œcuménique.
*À entendre et lire certaines déclarations, on se dit que Alfred Kroeber et Clyde Kluckhorn aurait pu s’éviter d’écrire Culture: a critical review of concepts and definitions.

Ceci explique le tollé soulevé par la déclaration d’Emmanuel Macron déclarant qu’il n’y avait pas de « culture française ». Et c’est d’autant plus drôle que le reproche s’adresse à un homme dont la « culture » semble beaucoup plus proche de François Mitterand et de Charles de Gaulle que de ces trois prédécesseurs.

Pour une réflexion un peu moins « bipolaire », et tiré d’un livre de Régis Debray (2017), Civilisation. Comment nous sommes devenus américains. :

Distinguons d’abord entre culture et civilisation, ces « ensembles d’attitudes et d’aptitudes apprises par l’homme en tant que membre d’une société » (Lévy-Strauss) on les confond trop souvent (Hegel prend l’une pour l’autre). Au siècle des lumières, Mirabeau et Voltaire avait inventé la civilisation avec un article défini, soit la sortie de la barbarie. L’Allemagne, peu après, opposera la culture, singularité vitale enracinée dans un peuple et un sol, à la civilisation, inerte et sans racines, aux procédures passe-partout. « Il est aujourd’hui du devoir de l’homme que la civilisation ne détruise pas la culture ni la technique l’être humain », prévient Théodor Mommsen, l’historien berlinois. Quant aux anthropologues anglo-saxons, qui ont, à juste titre, fait leur le passage de l’idée morale au fait social, soit du singulier au pluriel, il réserve « culture » aux sociétés primitives, et « civilisation » aux sociétés modernes. Il y a donc du brouillage en ligne et du brouillard en chemin. Il faut éclaircir.
Par quoi se distingue « la première et la plus complexe des permanences » d’autres formes de regroupements plus visibles, à première vue comme la tribu, la Nation, l’État ? D’abord dans l’espace, par l’aire de diffusion de diffusion – l’islam avec un petit « i » va de Dakar à Djakarta. Les fondations sont plus larges que le bâti. Ensuite, dans le temps, par la longévité : Rome a duré mille ans et la Chine aborde son troisième millénaire. Le tréfonds n’est pas aux pièces. Elle en a vu, la Chine, et en verra d’autres, des dynasties, des massacres et de grands timoniers, mais les pagodes ne disparaîtront pas. Passent les cigognes, restent les clochers. (pp. 20-21) (à suivre)

Les clochers, qui fondaient un Nous, terreau de l’identité des individus, sont schématisés par les populismes de tous bords : ceux qui voulaient savoir qui ils étaient et qui voulaient devenir sont caricaturés en une « bande de ON », réduits à, comme le chantait Brassens, des « imbéciles heureux qui sont nés quelques part. »

Au prix d’un artifice de peu de frais, des « gens de partout » – populistes comme non-populistes -, enfants du « Système » et de la mondialisation réussissent à se présenter comme des « Anti-Système » voulant avoir la peau de cette mondialisation qui les a engendrés. Monsieur Philippot et Monsieur Philippe sort de l’ENA comme, comme Monsieur Mariton et Madame Kosciusko-Morizet sortent de Polytechnique. Messieurs Cahuzac et Le Pen planqu-e-aient des avoirs en Suisse comme Messieurs Fillon, Le Roux, Ferrand, etc. favoris-ai-ent femmes et enfants.

On pourrait peut-être expliquer la réussite de Macron, enfant du Système, par le fait qu’il ne se ne se présente pas comment Anti-système. Sa stratégie consiste à accepter la mondialisation, à vouloir changer les règles du Système (ce qui est différent de se présenter Anti-) : le Peuple, les Gens, les On en ont assez de regarder les politiciens cracher dans la soupe alors ils se goinfrent d’ortolans.

Celui qui te traite de dindon ne connait peut-être pas la volaille Aimé Shaman