La consommation écologique

La consommation écologique

Le dernier milliardaire.

Article de Vigousse, 25 janvier 2019, Bien profond dans l’actu, page 10.

Les success-stories du professeur Junge.

Cette semaine : je raconte mon chemin vers la réussite, la gloire et la fortune qui m’ont permis de demeurer l’unique personne riche sur terre alors que le reste de la population ne possède plus rien.

Vigousse, 25 janvier 2019, page 10

Ça a été un rude combat. Long et épique aussi. Plein d’opérations financières audacieuses, de raids boursiers héroïques, de fusions-acquisitions dantesques. En 2019, nous étions encore 26 milliardaires à nous partager autant d’argent que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. Un à un, j’ai fait mordre la poussière à ces colosses de l’ultra-libéralisme pour m’approprier leur fortune. Aujourd’hui, je suis l’unique trilliardaire à la surface du globe. Le deuxième homme le plus riche du monde n’a que quelques dizaines de millions, et c’est moi qui les lui ai donnés : c’est mon avocat. Tous les Gates, Buffett, Soros, Bezos et autres Musk touchent l’aide sociale, quand ils ne se sont pas purement et simplement supprimés. On dit que je possède 99 % des ressources globales, mais franchement je crois que c’est largement sous-estimé.

Désormais, l’entier de l’industrie du luxe travaille quasiment que pour moi. Enfin, ce qu’il en reste. Il est clair que je ne peux pas absorber à moi seul toute la production des marques automobiles de prestige. Après 17000 Ferrari, 12000 Maserati, 5000 Rolls-Royce et 378 Bugatti, j’ai arrêté d’en acheter, et les usines ont fermé. De même pour les montres et les bijoux. Quant aux palaces aux quatre coins de la planète, que je possède tous puisque je suis le seul qui ait encore les moyens d’y descendre, ils ont licencié la majeure partie de leur personnel car je ne m’y arrête pas souvent. Il faut dire qu’avec mes 13748 châteaux, villas géantes et appartements de standing répartis un peu partout, les palaces ne sont là que pour dépanner ou loger mon imposante bataille.

Tout au long de mon irrésistible ascension, l’on a constamment fustigé mon avidité sans borne, mon inextinguible rapacité, ma gloutonnerie infinie. C’est injuste. J’ai agi conformément à de nobles intentions. Et si peu osent le reconnaître ouvertement, tous devront bien finir par avouer que j’ai sauvé la planète. En réduisant l’écrasante majorité de la population à la frugalité (certains diront la pauvreté), j’ai par là-même fait chuter son empreinte écologique. Plus personne ne peut s’offrir une voiture, encore moins un voyage en avion. Manger de la viande une fois par mois est réservé à l’élite (mes serviteurs). Plus personne ne songe à dépenser son argent dans des gadgets technologiques aussitôt dépassés, tant il est vrai que l’argent c’est moi qui l’ai et que les gens sont de toute façon trop occupés à gratter le sol de leurs ongles pour en extraire quelques maigres navets. Bien sûr, je consomme inconsidérément, je gaspille à qui mieux mieux, je me vautre dans l’opulence la plus dispendieuse. Mais je suis le seul à le faire. Cela n’a presque aucune incidence sur l’environnement. En devenant l’unique pollueur, j’ai sauvé l’humanité. Au lieu de m’en remercier, on me les. Je l’accepte. Mon sacrifice au profit de la collectivité est à ce prix. Quoi qu’il en soit je suis arrivé au terme de mon chemin. Il n’y a plus d’argent à siphonner nulle part. Mon œuvre est accomplie. J’ai vécu 98 années, dont 80 à m’agiter sans trêve pour accumuler mon magot. Il est enfin temps que je profite un peu de la vie.

Professeur Junge. Crésus de la pensée contemporaine.

© Xavier Gorce, in Nouvelles-Clés, 2012

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