Jean-Claude Michéa, Le complexe d’Orphée. La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès. (2011. Paris. Flammarion).
[1] Dans la légende dorée des économistes, la division du travail instituée par le capitalisme naissant (la fameuse manufacture d’épingles d’Adam Smith) était censée obéir à des impératifs purement technologiques. Mais, en réalité, comme l’avait déjà établi, en 1974, le critique radical américain Stephen Marglin dans son célèbre À quoi servent les patrons? (réédité, en 2004, aux Éditions de l’ENS, avec une présentation de Bruno Tinel) «la division capitaliste du travail […] a été le résultat d’une recherche non pas d’une organisation de travail techniquement supérieure, mais d’une organisation qui garantissait à l’entrepreneur un rôle essentiel dans le procès de production, celui de rassembler les efforts séparés de ses travailleurs en un produit marchand».
On trouvera une confirmation éclatante de cette thèse iconoclaste dans l’ouvrage de Jean-Louis Peaucelle, Adam Smith et la division du travail. La naissance d’une idée fausse (L’Harmattan, 2007). L’auteur y démontre, en effet, sur la base d’une érudition étourdissante (il a visiblement lu toute la littérature du XVIIIe siècle sur la fabrication des épingles) que la manufacture décrite par Adam Smith ne constituait, pour l’essentiel, qu’une reconstruction imaginaire opérée pour le besoins de la cause libérale, et qui n’aurait pu tenir, dans les conditions de l’époque, aucune des promesses formulées par le dogme. Il s’agit, en somme, de l’un des tout premiers buzz de la «science» économique. (Michéa, 2011 :268)
J’aurais aimé moins d’épingles dans les chemises neuves! Aimé Shaman