Mon devoir de mourir avant ton droit de vivre ?

Mon devoir de mourir avant ton droit de vivre ?

Chaque système fabriquant sa propre sclérose, il n’y a qu’à attendre pour observer les effets de la contre-productivité.

Dans les années 1830-1840, Alexis de Tocqueville faisait remarquer que la revendication de l’égalité débouchait sur l’égoïsme. À ce stade, loin de considérer mes devoirs, il me suffit de clamer : « J’ai des droits. Les voici… Et j’attends que vous les respectiez ! ».

Comment ne pas faire le lien avec le début du livre de Byung-Chul Han, Dans la nuée. Réflexions sur le numérique (2015. Arles / Paris. Actes Sud [2013. Im Schwarm. Berlin]).
« Respect signifie littéralement regarder derrière soi. C’est un regard qui enveloppe un égard. Tout rapport respectueux à autrui implique une certaine retenue dans la curiosité naturelle de l’œil. Le respect suppose un regard distancié, un pathos de l’écart. Or celui-ci est aujourd’hui éclipsé par une exhibition immédiate caractéristique du spectacle. Le verbe latin spectare, duquel le mot spectacle dérive, désigne une intrusion voyeuriste dépourvue d’égards qui fait fi de la distance respectueuse (respectare). Cette distance distingue respectare de spectare. Une société sans respect, sans pathos de l’écart, débouche sur une société du scandale » (p. 9).

Une « société égoïste » fleure bon l’oxymore : scandale où chaque individu exige son droit du devoir des autres !
Comment ne pas faire également le lien avec ce que dit Olivier Rey (Une folle solitude. Le fantasme de l’homme auto-construit) du retour sur le passé et de la transmission intergénérationnelle.
Judiciarisation de tous les domaines de la vie humaine.

Je ne peux m’empêcher de faire également un pont avec ce que dit Hélène Romano, à propos du passage de la réalité de la personne traumatisée au statut de victime, le législateur niant la dimension de blessure psychique provenant d’une confrontation à l’imminence de la mort *. Exit le trauma dans la définition juridique des victimes par les Nations-Unies comme des personnes qui « ont subi individuellement ou collectivement un préjudice ». Les traumatisés pourront bénéficier (!) de droits spécifiques donnant lieu à indemnisation (à condition de mettre en mots, et sur la place publique, l’incapacité à dire les maux et l’expérience vécue) :
« En devenant “addict“ à la victimisation, notre société est devenue “victimophile“, mais ce faisant, elle s’est révélée “traumatophobe“, comme en atteste son désengagement face à l’attention à la dimension psychique qu’elle aurait dû porter aux traumatisés. (p. 56) […] Le traumatisé et reconditionnés sous l’appellation “victime“ ; notion marquée par sa dimension social, politique et son sens judiciaire » (p. 57).
Tout se passe comme si une société éminemment pathogène niait la souffrance psychique véritable (confrontation à la mort) pour mieux faire oublier les pathologies qu’elle crée (confrontation au marché) et dont elle a besoin pour se reproduire – les droits individuels oublieux des devoirs génèrent de la consommation –, en s’illusionnant dans la croyance que tout est soluble dans le Droit.
Épuisement de l’économie libidinale dans le pulsionnel…

* In (sous la direction de Hélène Romano et Boris Cyrulnik. 2015. Je suis victime. L’incroyable exploitation du trauma. Savigny-sur-Orge. Philippe Duval.

Les querelles d’Ego ne favorisent pas l’égalité.Aimé Shaman