On ne s’en lasse pas: Besset,  quatrième rappel.

On ne s’en lasse pas: Besset, quatrième rappel.

Pour jouer la gagne, on ne change pas une équipe qui perd!

Lors d’un conseil de fac où il était question de supprimer le préalable de latin, et où j’étais représentant des étudiants, un prof (de français moderne) avait produit cette phrase superbe: « Je suis d’accord avec vous, mais l’ennuyeux avec une réforme, c’est que cela crée des précédents. » À part cela, la suppression du préalable ayant passé à une voix de majorité, le professeur d’ancien français avait prétexté une majorité trop faible pour un sujet aussi important. Le plénum avait revoté et maintenu le statu quo. Comme disait l’autre, la démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres.

Jean-Paul Besset, 2005, Comment ne plus être progressiste… sans devenir réactionnaire (Paris, Fayard).

Revenir en arrière? Puisqu’il s’agit de changer de direction, faut-il pour autant retourner en arrière? La tradition n’est certainement pas le diable puisqu’elle forme le patrimoine de l’humanité. Mais l’héritage est contrasté. On voit bien le bonheur que la société trouverait à la réhabilitation d’usages anciens, comme le savoir-faire paysan ou les relations de voisinage, l’apprentissage de l’effort par les plus jeunes ou l’altruisme des échanges, le rapport artisanal au travail ou l’utilisation de la bicyclette en ville.

En même temps, il apparaît clairement que le travail des enfants ou le mariage forcé des femmes ne constituent pas une restauration souhaitable, pas plus qu’il y aurait avantage à sacrifier l’ordinateur ou les antibiotiques. Sortir de l’autoroute du progrès n’implique pas de s’enfoncer dans le cul-de-sac du passé. Comment se saisir de ce qu’il y a de meilleur dans les traditions sans tomber dans l’affliction passéiste? Peu importe la date de fabrication. Il faut appliquer à la tradition la même méthode qu’au progrès: évaluer, choisir, trier, éliminer.

De notre point de vue, il s’agit d’évacuer ce qui enferme, l’invitation douceâtre au repli nostalgique et aux ressentiments, la perception délicieusement mélancolique de l’ordre paisible des champs et des (326) usines, des églises et des chaumières, évacuer ce qui fige le présent dans l’illusion d’un passé idéalisé, qu’il revête les atours de la religion, de la race, de la nation, de la classe ou du clan. Tout ce qui, au total, revient à chercher refuge ailleurs pour fuir le réel, éviter la confrontation avec les défis de l’époque et refuser les remises en cause que cela impose.

On peut garder du goût pour d’anciennes tambouilles et de vieilles recettes, mais ce n’est pas la haine du progrès qu’il faut porter, comme l’ont fait tous les courants réactionnaires de l’histoire, c’est sa critique intransigeante.

Une troisième voie? Ni s’adapter au progrès, ni se bloquer contre lui. Ni avancer, ni reculer. Aller en sens contraire. Chercher une troisième voie. Il ne s’agit pas de courir après cette chose introuvable dont certains rêvent, entre capitalisme et socialisme, mais de tracer un chemin entre Réaction et Progressisme. Comment renvoyer dos à dos nostalgie passéiste et fuite en avant développementaliste?

Si, de la crise du vivant, on retient la valeur de durabilité comme principe dominant, si on applique le critère du soutenable à des domaines aussi divers que la gestion économique, l’équilibre alimentaire, la consommation énergétique, la place de l’automobile, les équipements technologiques, l’architecture des maisons, les plans locaux d’urbanisme, les circuits de distribution, les comportements consuméristes, le rapport au milieu naturel, on se trouve en position de procéder à des modifications sociales de très grande ampleur. On dispose d’une boussole pour savoir à quoi et à qui affecter le progrès, selon les besoins et les nécessités. On est en mesure de choisir ce qui améliore qualitativement la condition humaine au lieu de devoir subir ce qui accroît quantitativement la richesse. «Devant l’abîme, il n’y a qu’un pas à faire, résume Bernard Charbonneau. Mais c’est dans l’autre sens.»

Aller en sens contraire signifie par exemple que la communauté internationale ne se résigne pas à abandonner, d’ici à 2030, les deux tiers de l’humanité à une urbanisation mortifère, source de problèmes insurmontables et de tensions insoupçonnées, mais qu’au contraire elle décide d’orienter les politiques vers la reconquête des campagnes en fournissant travail, énergie, équipements, technologies aux hommes qui y vivent.

Curiosité : éviter de laisser le savoir prendre le dessus sur l’ignoranceAimé Shaman