Dorénavant, la vérité sort de la bouche des écrans.
Post-truth (politics) a été désigné comme « Mot de l’année » par le Oxford English Dictionnairy. Il peut être traduit par « (Politique de la) Post-vérité » ou «(Politique de la) post-factuelle ».
Dans Charlie hebdo (no 1278, du 18 janvier 2017), Gérard Biard considère que la « post-vérité », est « ce nouveau gadget sémantique pour commentateurs dandy, dont on peut aisément faire l’économie en utilisant un mot simple et compréhensible par tous : mensonges.
Au risque du dandysme, et même si, dans de nombreux cas, les deux termes peuvent être synonymes, je pense utile de distinguer la post-vérité du mensonge.
Dans un article de Philosophie Magazine (no 106, Février 2017, p. 18), Martin Legros établit la généalogie du concept : janvier 1992, dans un texte signé Steve Tesich. Selon ce dernier, depuis le Watergate, le peuple américain en serait venu à nourrir une phobie de la vérité, désormais associée aux mauvaises nouvelles :
Pour Tesich, la première intervention militaire américaine dans le Golfe signe un pacte tragique entre les dirigeants et leur opinion publique. « Leur message est le suivant : nous vous donnons une victoire glorieuse, nous vous rendons votre estime de vous-mêmes… maintenant, voilà la vérité. Qu’est-ce que vous préférez ? » Comme s’il fallait choisir entre l’estime de soi et la vérité. Dans sa conclusion, cinglante, Tesich formule le nouveau rapport à la vérité qui se noue : « Tous les dictateurs jusqu’à ce jour ont travaillé à supprimer la vérité. Nous, par notre action, affirmons que ce n’est plus nécessaire, nous avons acquis un mécanisme spirituel qui peut priver la vérité de toute importante. En tant que peuple libre, nous avons décidé librement que nous voulions vivre dans un monde d’après la vérité. Dans ce monde, nous sommes dorénavant privés de critères par lesquels nous pouvons évaluer les choses, de sorte que nous choisissons de voir la vertu dans la banalité. C’est tellement nul que c’est bien. Nous appliquons cette philosophie à tous les aspects de notre vie. » Bien qu’il s’inspire du 1984 d’Orwell, Tesich ne confond pas la politique post-vérité avec celle du mensonge totalitaire qu’un pouvoir impose à sa population. La politique post-vérité relève d’un contrat entre le peuple et ses dirigeants. Un contrat d’indifférence à la vérité. (p. 18)
Si les premières occurrences apparaissent dès 1992, son utilisation documentée a fait un bon de 2000 % en 2016 par rapport à 2015. Comme l’explique Casper grâce Grathwohl ( BBC News – 16.11.2016 – cité par Andrew Calcutt) :
« La fréquence d’utilisation du mot a vraiment augmenté en juin 2016 avec le Brexit et puis à nouveau en juillet, quand Donald Trump a obtenu l’investiture présidentielle du Parti républicain. L’utilisation du terme n’ayant montré aucun signe de ralentissement depuis ces événements, je ne serais pas surpris si la post-vérité devenait l’un des mots définissant le mieux notre époque. »
Le mensonge a toujours existé et il existera encore longtemps. Mais le mensonge a pour but de convaincre ceux qui écoutent le discours à penser « rationnellement », « factuellement », comme ceux qui leur tiennent le discours. Dans l’espace de la post-vérité, la raison n’a plus sa place : il s’agit, pour l’orateur, de se caler sur la longueur d’onde émotionnelle de ceux qui écoutent.
Cet au-delà des faits, la post-vérité, n’opèrent que parce qu’il existe un en deçà des faits : un discours performatif qui ne fait pas appel à la raison, mais qui est calé sur les émotions de celles et ceux auxquels il s’adresse ; c’est le référentiel de « complot » dans lequel se situent les récepteurs du discours qui apportera la dimension « rationnelle » de ce dernier. Nous sommes donc dans un espace idéologique, au-delà et en deçà de la vérité. Dans cet espace, c’est la notion même de mensonge – notion toujours plus ou moins explicitement rattachée à une dimension morale – qui perd sa pertinence.*
Enfin, en plus de ce qui vient d’être dit, la post-vérité n’est possible que par l’environnement technique qui la permet : Internet, réseaux sociaux, etc.
* À rapprocher de la notion de Scotomisation d’où la volonté de tromper est absente. La personne qui scotomise se fait une « vérité » pour elle et n’a pas la volonté de « tromper son monde ».
Dans l’espace de la post-vérité, le beau bar a rejoint le café du commerce. Aimé Shaman