Retour vers le réel (1)

Retour vers le réel (1)

La mort-propre et le futur antérieur.

En 2007, j’avais écrit un article, «La Catastrophe aura eu lieu… De la schizoïdie fonctionnelle comme mode de vide », dans le cadre d’une exposition du Musée d’Ethnographie de Genève, Scénario Catastrophe. La lecture du livre de Jean-Pierre Dupuy, Petite métaphysique des tsunamis (2005), et le titre de son premier chapitre, Le deuil de l’avenir, m’avaient certainement influencé pour choisir un titre au futur antérieur.

Dupuy, qui écrivait en 2012 (2014 [2012], L’Avenir de l’économie) :

La mort est une catastrophe annoncée. La Moire implacable, Atropos, a simplement omis de nous préciser le jour et l’heure. Cet oubli a des conséquences incalculables. Certains croient qu’il leur permet de vivre, car ils assimilent une fin inconnue à une fin indéterminée et une fin indéterminée à une absence de fin. […]
D’autres s’angoissent de ce que cette indétermination les prive de la connaissance qu’ils ont d’eux-mêmes. On interrogeait le grand écrivain argentin Jorge Luis Borges pour la énième fois :
« Parlez-nous de vous, monsieur Borges.
– Vous parler de moi? Mais je ne sais rien de moi, je ne connais même pas la date de ma mort! »
Nous plaçant à la date de l’entretien, nous pouvons quant à nous recourir au futur antérieur, ce temps miraculeux qui transforme l’avenir en passé, et dire : lorsque Borges mourra, sept ans et trois mois se seront écoulés depuis qu’il a prononcé ces paroles mémorables. Mais c’est un luxe qui était inaccessible à l’intéressé.
Je l’ai dit, c’est le temps d’attente qui nous sépare d’une catastrophe dont la survenue est inéluctable mais la date inconnue qui m’intéresse ici. La forme paradoxale que prend le temps dans ce cas peut être décrite ainsi : la survenue de la catastrophe est une surprise, mais le fait que ce soit une surprise, lui, n’est pas ou ne devrait pas être une surprise. On sait qu’on se dirige inexorablement vers le terme, mais le terme n’étant pas connu, on peut toujours espérer qu’il ne soit pas encore proche, jusqu’à ce qu’il nous saisisse à l’improviste. Le cas intéressant qui va m’occuper est celui où plus on avance, plus on a des raisons objectives de penser que le temps qui reste avant qu’on touche au terme s’accroît – comme si le terme s’éloignait plus rapidement qu’on ne s’en approche. C’est au moment où, sans le savoir, on est le plus proche du terme qu’on est fondé à croire qu’on en est le plus éloigné. La surprise est totale mais, puisqu’on sait à l’avance tout ce que je viens de dire, on ne devrait pas être surpris d’être surpris. Le temps tire alors dans deux directions opposées. D’un côté, on sait que plus on progresse, plus on se rapproche du terme. Mais celui-ci étant inconnu de nous, peut-on vraiment le tenir pour fixe? Dans les cas que je considère, plus on avance sans que le terme soit visible, plus on a des raisons solides de penser qu’une bonne étoile a choisi pour nous un terme éloigné. (pp. 151-153).

Il est peut-être temps (!) de nous reconnecter avec cette dimension tragique de la nature humaine que Homo sapiens a scotomisée en recouvrant de sa mégalomanie la faute de Epiméthée. Certains qu’elle permettra toujours la vie dans la nature, j’aimerais qu’après demain, ma mort permette toujours la vie de mes arrières-arrières-arrière petits enfants…

Devant mon miroir, je m’apprête à conclure mon billet… Acte manqué que le docteur Freud ne pouvait pas prévoir : acte manqué, par délégation, en quelque sorte. Je dicte « miroir » (ou je crois dicter… jusqu’où ma responsabilité est-elle engagée dans l’acte de dictée ?) et mon logiciel de dictée écrit « mouroir ». Technique pharmakon ! Il est peut-être temps que je m’arrête… Je conclurai le 31 janvier.
Mais en attendant, je me trouve toutes les raisons de persister et signer : je suis encore dans les délais ! Que la déconnexion nous fasse nous reconnecter à nos désirs… Draft dodgers !

Absence de Nous qui amène les Je dans le rêve de ne plus être seuls et à forger la locution du « vivre ensemble ».Aimé Shaman