Soyez crédibles, faites des dettes!

Soyez crédibles, faites des dettes!

J’écrivais, dans Droit de l’O.H.M. et devoir d’humanité (Traverse 7, pp. 72-73), que crédit et dette devenaient synonymes, que « la dette est l’enregistrement statique d’une somme due pour l’accomplissement d’une consommation et qui ne peut être rendue. Une dette est facilement effaçable alors que l’on est toujours redevable d’un crédit ». Celui qui a le pouvoir d’effacer la dette la rend indélébile quand celui qui m’a fait crédit a créé un lien ineffaçable !

Byung-Chul Han exprime la capacité de solder la dette par le manque de lien avec les autres (Le désir ou l’enfer de l’identique. Paris. Éditions Autrement. 2015 . Edition originale : Agonie des Eros. Berlin. 2012) :
Tu peux engendre une quantité massive de contraintes sur lesquelles le sujet de la performance se fracasse régulièrement. Par ce qu’elle lui fait l’effet d’une liberté, la contrainte auto-générée n’est pas reconnue en tant que telle. Tu peux engendre même plus de contrainte que tu dois. La contrainte que l’on impose à soi-même est plus fatale que la contrainte que l’on impose à autrui, par ce qu’aucune résistance n’est possible contre soi-même. Le régime néolibéral dissimule sa structure de contrainte derrière l’apparente liberté de l’individu isolé qui ne se conçoit plus comme un sujet soumis (subject to), mais comme un projet concevant. C’est là toute sa ruse. Celui qui échoue en est de surcroît responsable et transporte désormais cette culpabilité avec lui. Il n’existe pas d’autre responsable de son échec. Il n’existe plus non plus de possibilité d’effacer ses dettes et d’arrêter son expiation. De là non seulement la crise des dettes, mais aussi celle de la gratification.
Aussi bien l’annulation de la dette que la gratification suppose l’instance de l’autre. Le manque de lien avec les autres est la condition transcendantale de la crise de la gratification et de la dette. Ces crises montrent clairement que le capitalisme, contrairement à une hypothèse largement répandue (voir par exemple Walter Benjamin), n’est pas une religion : chaque religion opère avec la dette et son annulation. Le capitalisme ne fait que créer la dette. Il ne dispose d’aucune possibilité d’expiation qui libérerait l’endetté de sa dette. L’impossibilité de l’annulation de la dette et de l’expiation est aussi responsable de la dépression du sujet de la performance. La dépression constitue, en même temps que le burn-out, un échec irrémédiable en matière de capacité, c’est-à-dire une insolvabilité psychique – l’insolvabilité signifiant littéralement l’incapacité de solder la dette (solvere). (pp. 31-33)

Il ne m’est encore jamais arrivé à ce jour de regretter d’avoir quitté les chemins du cognitivo- comportementalisme.