Poderoso caballero es don dinero
*Traduction : Et c’est lui qui rend égaux le duc et l’éleveur / Le puissant Chevalier Argent Pour une traduction complète https://lyricstranslate.com
Francisco Quevedo et Paco Ibañez
Cannibalisme, nm. : Forme de philanthropie adaptée à la hauteur des temps.
Stéphane Legrand. Le dictionnaire du pire.
Les « pauvres » qui font la queue, à Genève, pour de nourriture, sont riches de leur temps, et les riches, pauvres de leur temps, pourront toujours payer un pauvre, non pas pour qu’il leur ramène sa nourriture, mais pour qu’il fasse la queue à leur place pour réserver une place de concert, etc. – voir à ce propos le livre de Michael Sandel, What money can’t buy (2012), traduit en français, Ce que l’argent ne saurait acheter (2014).
Peut-on dire que le « pauvre », d’une manière plus générale, c’est celui qui est obligé de se laisser déposséder de son temps ? Il y a bien sûr, avec cette crise du coronavirus, ce qui ne peuvent plus travailler, mais il y a aussi ceux qui sont obligés de travailler, qui sont obligés de s’exposer au danger. Et, pour ceux qui ne le savaient pas, on découvre à cette occasion qu’il s’agit des métiers les plus mal payés. On comprend pourquoi, pour les économistes mainstream, le temps est une dimension qui peut être ignorée.
Pour les anthropologues, cette crise est l’occasion – voilà qui fera plaisir certainement à Alain Caillé – des manifestations du don que nous pensions peut-être disparues de nos pratiques et qui se retrouvent mises en évidence – qu’il s’agisse de demander/donner/recevoir/rendre (DDRR) ou de ignorer/prendre/refuser/garder (IPRG).
Comme désormais habituel : entre ( ), les nos de pages de l’ouvrage, et [ ], mes commentaires et réflexions. Pour mieux distinguer ces derniers, les caractères sont de couleurs différentes. Les notes et références internes aux textes originaux, sauf mention, ne sont pas prises en compte.
Paul Jorion, 2017. L’argent, mode d’emploi. Paris. Arthème Fayard.
Les ambiguïtés du mot « monnaie ». L’anglais confond dans money ce que le français distingue comme « monnaie » et « argent ». […] L’anglais parle aussi de currency, mais currency c’est la devise, distinction que fait également le français. (70).
[…] : Même les biens les plus précieux peuvent être échangés contre de l’argent qui n’est cependant rien de plus que des nombreux écrits sur des bouts de papier ou inscrits dans la mémoire d’un ordinateur. L’argent peut être aussi un substitut à la richesse lorsqu’une richesse authentique, qui continue cependant de m’appartenir, a été mise en gage par moi […]. L’argent est enfin un transformé de la richesse, par exemple lorsque la moisson est réalisée à l’occasion de sa vente ; la moisson est ici un surplus résultant de la combinaison d’avances qui ont été faites au fermier […], du soleil et de la sueur des hommes : une richesse extérieure à la richesse qui existait déjà dans le monde a été créée ex natura et transformée in fine en argent.
Richesse en soi, substitut de richesses et transformé de richesse comment cela s’accorde-t-il avec les définitions traditionnelles de l’argent ?
De l’argent on dit en général dans les livres […] qu’il a trois fonctions, celles de 1) d’être une unité de compte, 2) d’être un intermédiaire des échanges et 3) de constituer une réserve de valeur. (71).
1) l’argent est unité de compte pour la richesse. Ceci signifie que toute richesse peut s’évaluer en une quantité d’argent.
2) l’argent est un intermédiaire des échanges signifie qu’il constitue une richesse échangeable sous une forme « générique ». Autrement dit, tout ce qui est susceptible de s’acheter ou de se vendre peut l’être à l’aide d’argent.
3) l’argent est une réserve de valeur. Autrement dit, l’argent est une richesse en soi. Et, à ce titre, tout le monde en veut.
Donc, en mettant ensemble tous ces éléments : l’argent est une richesse générique quantifiable.
Et c’est là qu’on s’arrête toujours… alors qu’on ne devrait pas, par ce que, comme nous venons de le voir :
1) l’argent est aussi le substitut d’une richesse non monétaire existante : crédit sur un gage (maison, champ, future moisson).
2) ainsi que le moyen de transformer une richesse non monétaire neuve en « richesse générique quantifiable » (la nouvelle moisson). (72).
Cela ouvre la porte à deux questions qu’il faudrait résoudre à leur tour : 1) qu’est-ce qui constitue une richesse ? Et 2) qu’est-ce qui fait que nous considérons comme légitime – depuis plusieurs siècles au moins – d’additionner richesse existante, substitut de richesses et transformé de richesse ? (72-73).
[Et c’est parce qu’on s’arrête toujours trop tôt que la majorité des problèmes survient. On prend pour « argent comptant » une « unité de conte », à partir de laquelle vont s’élaborer les différents storytelling, point de départ des dysfonctionnements et éclatements de bulles. Oubli d’accorder de l’attention au principe de conservation des quantités. Dès cet instant, l’argent devient parfaitement abstrait et on pourra désormais lui faire dire n’importe quoi. C’est ce qui ne pourra plus se cacher, en 1971, quand les directeurs des banques centrales descendront du bateau, sur le fleuve Potomac – voir la suite].
Pourquoi l’argent fonctionne-t-il ? Historiquement, l’argent a pris des formes multiples, et plus particulièrement celle des métaux précieux, or et argent, qui ont constitué les talons, […]. Le dernier film connectant les devises alors est défini à Bretton-Woods en 1944 : l’once d’or vaudrait 35 $ américains et c’est par rapport à cette donne que les autres devises définiraient.
En 1971, le président Nixon a décrété unilatéralement, sans concertation préalable avec ses partenaires internationaux de décrocher de dollars de sa parité alors. Depuis, le cours de l’ordre exprimé en dollars Paris, et le ciel n’en est pas tombé pour autant sur nos têtes. (75).
La preuve est ainsi faite que la monnaie peut fonctionner sans être soutenue par aucune réalité plus tangible que le fait que chacun y recourt parce que tout le monde autour de lui en fait autant. (75-76).
Pourquoi ? Par ce que tout le monde le fait. Or ce n’est pas cela que l’on dit d’habitude : on invoque la confiance. Le mot « confiance » et cependant utiliser sans prudence ni retenue dès qu’il est question d’argent. […] Confiance dans celui qui foutant le billet, ou bien confiance dans le système monétaire en général ?
[Et voilà que c’est « par habitude » qu’on n’a pas confiance de tenter « des choses dont on n’a pas l’habitude » comme, par exemple, le revenu universel, comme la gratuité dans différents secteurs (comme le propose Paul Ariès, par exemple), qu’on continue – manifestation quantophrénique – de calculer des déficits ou des montants de dette en % du PNB, qu’on persiste dans les règlements internationaux en dollars, etc. Juste une question : si la dette avait un lien réel avec la notion de « conservation des quantités », pourrait-on par une simple acrobatie juridique, oublier « les dettes » d’une société en créant une société dans laquelle on inscrit ses susdites dettes ?].
La réponse est celle que j’ai donnée : si j’accepte un billet de 50 € en paiement d’une dette de 50 €, c’est parce que tout le monde le fait. (76). Quels sont les circonstances qui feraient que le système cesse de fonctionner ? […] Ce qui ferait que le système cesse de fonctionner, ce serait que certains cessent de jouer le jeu […]. La pensée effleure sans doute occasionnellement l’esprit de quelques excentriques, mais ils sont trop peu nombreux pour que cela suffise à remettre véritablement le système en question. (77).
La réponse à la question : « Pourquoi tout le monde accepte-t-il de l’argent en paiement d’un bien ou en règlement d’une dette ? » est donc banale : parce qu’il n’y a pas le choix ; l’argent est le moyen qui a été inventé pour régler le prix de tous les biens et pour régler toutes les dettes, c’est à cela qu’il sert et il ne lui existe à l’heure actuelle aucun concurrent. Les choses seraient bien entendues très différentes si plusieurs monnaies (je ne dis pas devises) étaient en concurrence les unes avec les autres. (78).
Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres.
Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire (1576) – PDF

La monnaie comme marchandise privilégiée. Marchandise contre marchandise, le mode qui préside à l’échange est bien entendu celui du troc. (79). Avec la monnaie, et pour annoncer d’emblée la couleur, on ne s’est pas aperçu, durant de nombreux siècles, qu’elle pouvait fonctionner au titre de richesse authentique tout en n’étant rien de plus qu’un signe conventionnel de la richesse : on a cru que, pour jouer ce rôle, elle devait être richesse en soi, ce qui n’était nullement le cas.
Pour que le signe puisse remplacer la chose elle-même, des éléments d’un tout autre ordre étaient nécessaires – quasiment impossible à deviner a priori : il fallait qu’un certain nombre de garanties soit présentes, que seul un État était à même d’offrir, comme l’existence d’une police lâchée aux trousses de ceux qui tenterait de saboter le système en répandant de la monnaie contrefaite. (80).
[…], Mais, à l’instar des Romains, on a voulu prendre des précautions supplémentaires : faire en sorte que si jamais la foi dans le fonctionnement de la monnaie vacillait, on puisse se tourner en désespoir de cause vers son support et le prendre à la lettre, c’est-à-dire le considérer comme un gage effectif de la valeur que la monnaie affirme être la sienne. Autrement dit, que si le pouvoir de l’État, garant de la quantité de la monnaie en circulation, devait échouer à assurer ce contrôle, on puisse, par défaut, l’ignorer et se tourner vers la monnaie elle-même pour la fondre et la vendre au prix du métal qu’elle est aussi. (81).
[Aujourd’hui, celle ou celui qui voudrait fondre ses cartes de crédit se verrait contraint de payer des taxes d’antipollution, soumis à une législation sur les plastiques.]
[…], Une fois la monnaie inventée on a recouru pour elle à la solution de facilité fondée sur le principe que « deux précautions valent mieux qu’une » : on a choisi pour support une ou des marchandises que chacun accepterait volontiers en raison du fait qu’elle pourrait constituer – en soi – le gage de ce qu’elles prétendaient être par ailleurs : une richesse générique quantifiable.
La monnaie s’est mise à circuler à la satisfaction générale – paradoxalement, comme je viens de le dire, en dépit du fait qu’aucun de ceux qui l’utilisaient n’ait eu une approfondie du mécanisme de son fonctionnement : il suffisait, pour que le système marche globalement, que chacun en saisisse le principe général ; la plupart y trouvant leur bénéfice, on ne s’est pas inquiété davantage. Bon Ainsi la croyance s’est établie fermement que, comme dans le cas de monnaies adossées alors voilà argent, il fallait que la marchandise leur servant de support détienne une valeur en soi. (82). […] ; Son utilité, c’est précisément que chacun l’accepte comme l’instrument du troc, et ce quelle que soit la marchandise contre laquelle on les change, autrement dit comme l’instrument générique du troc.Il n’est donc pas nécessaire, comme je l’ai dit, que la marchandise que chacun accepte de troquer contre toutes les autres ait une valeur intrinsèque parce que sa valeur ne dérive pas de ce qu’elle est en soi, c’est-à-dire indépendamment de son usage en tant que monnaie, mais précisément parce que chacun l’accepte en tant que monnaie, c’est-à-dire comme une marchandise ayant acquis un statut générique, susceptible de pouvoir être troquée contre tout autre dans le cadre établi par une instance politique président à sa rareté contrôlée. (mis en gras par moi) (83).
[Mais alors que dans le « vrai » troc, tu es obligé de montrer la marchandise, avec la monnaie, tu peux te contenter d’exhiber une reconnaissance de dette.]
On a voulu, comme je l’ai annoncé avant de m’expliquer davantage, que le signe coïncide avec la chose même dont il est le signe, à savoir la richesse, en en étant non seulement signe de la richesse, mais également de la richesse en soi : non seulement cent francs en or, mais aussi de l’or pour cent francs. (83-84).
[Depuis Bretton-Woods, on peut dire que, de ce point de vue, toute monnaie est passée de signe à « monnaie de singe ». Faute de parité avec l’once d’or, on augmentera les montants de la dette…].
La condition que doit remplir une marchandise pour servir de monnaie sur le long terme, [est] que son support […] possède une qualité bien particulière, qui ne lui est pas propre mais extérieure, extrinsèque plutôt que intrinsèque : le prix, c’est-à-dire la quantité qui est réclamée de lui pour telle ou telle marchandise, demeure relativement stable. La seule condition à respecter, c’est que la masse monétaire reste suffisamment stable.
Une telle stabilité de la masse monétaire peut s’obtenir parce qu’un contrôle est exercé sur son volume […]. L l’or, par exemple, est rare et sa masse globale n’augmente que très progressivement au fur et à mesure qu’il est découvert. (86). […]. Mais quand la richesse s’est soudain mise à progresser à plus vive allure, comme ce fut le cas dans la seconde moitié du XXe siècle, l’accroissement de la masse d’or n’est plus parvenu à suivre ce train d’enfer, et les tensions se sont manifestées au sein du système fondé sur la parité du dollar avec l’or. Quand Nixon a mis fin à l’ancrage du dollar alors en 1971, il ne faisait qu’entériner l’aboutissement ultime de ce processus, même si le dollar lui-même se dévalorisait à la même époque, la richesse du monde augmentait bien plus vite que la masse d’or disponible. (87).
[Normalement, par l’action de leurs banques centrales, les États disposent des moyens pour moduler leur masse monétaire. Avec l’Europe et la zone euro, les État ont délégué ce pouvoir à la banque européenne sans réaliser l’unité politique qui ferait de cette Europe une confédération dans laquelle pourrait s’opérer des répartitions sans références « nationales ».].
(A suivre…)
Que vivons-nous ? La guerre, une crise ou une catastrophe ?
En attendant la réponse qui ne manquera pas de venir des innombrables publications commises par des pythies « rétroactives » et, qui rempliront les catalogues des éditeurs, dans quelques semaines – pour les rayons des librairies, j’attends de voir l’évolution des faillites – nous rappeler ce qu’écrivait Hannah Arendt en 1961, dans La Crise de la culture :
« Une crise ne devient catastrophique que si nous y répondons par des idées toutes faites, c’est-à-dire par des préjugés. Non seulement une telle attitude rend la crise plus aiguë mais encore elle nous fait passer à côté de cette expérience de la réalité et de cette occasion de réfléchir qu’elle nous fournit. »
Catastrophe !

Tous les enfants qui ont un papa gay n’ont pas forcément un père OK
Aimé Shaman