En faire chez les autres…

En faire chez les autres…

Bossuet panthéiste et des riches pour faire le Job.

Alain Supiot présente Bossuet De l’éminente dignité des pauvres. (Editions Mille et une nuits. 2015
pp.49-51 (Les notes de l’auteur ne sont pas reportées ici).

Le Christ « est venu au monde pour renverser l’ordre que l’orgueil y a établi, de la vient que sa politique est directement opposée à celle du siècle ». Le message est, à proprement parler, révolutionnaire. Déjà, dans le Panégyrique de Saint-François-d’Assise, Bossuet avait affirmé que « la nature, ou pour parler plus chrétiennement Dieu, le Père commun des hommes, a donné dès le commencement un droit égal à tous ces enfants sur toutes les choses dont ils ont besoin pour la conservation de leur vie ». Remarquable équivalence de Dieu et de la nature, qui préfigure les droits naturels de l’homme imprescriptibles et sacrés, et même les droits économiques et sociaux. Bossuet sait que cet ordre naturel ou divin n’est pas l’ordre juridique positif. Palliatif à l’« insatiable désir d’amasser », ce dernier est fondé sur le partage et la propriété « qui a produit toutes les querelles et tous les procès ». Mais vous avez tort, disait Bossuet aux riches, « de traiter les pauvres avec un mépris si injurieux », car si vous êtes propriétaires au regard de la justice des hommes, vous êtes de simples gérants d’affaire au regard de la justice divine. Vous devez rendre compte aux pauvres, que « Dieu a établi ses trésoriers et ses receveurs généraux », de la façon dont vous gérez des ressources dont Il demeure l’ultime propriétaire. Le sermon sur l’éminente dignité des pauvres prolonge et actualise cette réflexion, préfigurant déjà ce que le grand juriste Duguit nommera deux siècles et demi plus tard la « fonction sociale » du droit de propriété. Le « renversement admirable des conditions humaines », qui met ainsi les riches au service des pauvres, n’a pas à attendre l’au-delà car il « est déjà commencé dès cette vie ». La légitimité du droit de propriété est donc suspendue ici-bas au respect de la justice sociale dont l’église est garante. Pour le dire autrement, la misère et la pauvreté sont les stigmates d’une société injuste, dans laquelle les riches méconnaissent leurs obligations.