Prix Nobel d’économie : avatar que j’aime et…
Avant de passer à la suite des remarques provoquées par la lecture de Jorion, et après m’être énervé, comme à l’habitude, sur le quid pro quo, stratégiquement entretenu, entre un Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel bien réel et un « prix Nobel d’économie », tout aussi fantasmé que « La Main invisible », arrêt sur info : Sur le modèle de Conseil scientifique « Corona », Emanuel Macron s’entoure (se protège ?) ! Extraits d’un article du journal Les Echos.
« Emmanuel Macron s’entoure de 26 économistes pour penser l’après-crise »
[…] Il s’agit « d’une réflexion plus large que celle d’un simple plan de relance, avec des perspectives pas seulement françaises mais aussi européennes et internationales», selon l’Elysée, qui ambitionne rien moins que de « repenser nos dogmes économiques ».
Trois prix Nobel
Les deux rapporteurs ont choisi une équipe d’économistes parmi les plus réputés. Elle comprend notamment les prix Nobel Peter Diamond et Paul Krugman, l’ancien vice-président de la Banque mondiale et spécialiste de l’économie du climat Nicholas Stern et l’ex-conseillère économique de Bill Clinton et spécialiste des inégalités Laura Tyson. Y figurent également donc Jean Pisani-Ferry et Philippe Aghion, qui avaient participé à l’élaboration du programme d’Emmanuel Macron en 2017, ainsi que l’ancien secrétaire au Trésor américain Lawrence Summers, et l’économiste en chef de l’OCDE Laurence Boone.
Sur le climat, les travaux seront dirigés par Mar Reguant et Christian Gollier. Concernant les inégalités, la direction incombera à la jeune économiste française de Harvard, Stefanie Stantcheva et à Dani Rodrik, très critique de la mondialisation. Concernant la démographie, les responsabilités ont été confiées à Axel Börsch-Supan, Claudia Diehl et Carol Propper.
Dans une interview au « Monde », Jean Tirole vante « une équipe équilibrée, cumulant expertise scientifique et capacité à définir des réponses concrètes », « avec une diversité géographique – il y a huit Français, huit Européens, huit Américains – et d’âge ». Fondateur de l’Ecole d’économie de Toulouse, le Français est spécialiste des questions de régulation. Olivier Blanchard a, quant à lui, travaillé sur les questions de l’économie du travail et politiques monétaires et budgétaires. Il appartient à la famille des néokeynésiens.
Grands absents
Même si Jean Tirole vante l’équilibre de la commission, certains grands noms de l’économie française brillent par leur absence. C’est le cas notamment d’Esther Duflo, lauréate l’an dernier du prix Nobel d’économie , et qui a récemment réclamé le retour de l’ISF. Nulle présence non plus de Thomas Piketty ou Gabriel Zucman, très critiques de l’exécutif actuel. L’Elysée assure que les membres de la commission ont été choisis par Jean Tirole et Olivier Blanchard. […] Les Échos (29 mai 2020)
Ne pas insulter l’avenir, mais voilà que se prépare des batailles d’égos et des corps-à-corps, soit un bel accord entre spécialistes « d’accord », soit un consensus mou « à l’helvétique » transformant les désaccords en un accord.
Il est à remarquer que, souvent, dans le passé, de belles erreurs persistantes ont été générées par des experts. Même des « Prix de la Banque de Suède » peuvent ne pas échapper aux risques psychologiques et organisationnels que Christian Morel a analysé, au long de trois tomes, entre 2002 et 2018 :
Par exemple : « Les Décisions absurdes», 2002 : Le problème, explique l’auteur, c’est que ces décisions ne sont pas dénuées de rationalité, et interrogent évidemment les organisations : «La dimension profonde et durable de l’erreur est surtout alimentée par le système collectif», soutient Christian Morel. Mais c’est surtout dans «la perte de sens » qu’il faut chercher l’explication profonde à l’irruption de l’absurde. […] Le dilemme de la réunion de travail : soit elle est trop bien organisée, et elle décourage l’initiative, soit trop peu, et elle semble ne donner aucun résultat… (source ?). Tome III (2018) des Décisions absurdes (consacré à l’enfer des règles et aux pièges relationnels) : Autre constat qui frise le ridicule, le bruit normatif ou l’illisibilité des règles publiques, polluées par la novlangue. Ne parlons plus de « crèches » mais d’« établissements d’accueil de jeunes enfants », ni de « balançoires » mais d’« équipements comportant des éléments de balancement », ni de « piscines », mais de « milieu aquatique profond standardisé », […] (Cynthia Fleury 22 juin 2018 L’Humanité.fr)
Nous ne serons bien sûr pas au niveau des crèches, mais nous n’échapperons probablement pas à la novlangue (pardon « à un milieu technocratique profond »). Ceci rappelle l’exemple du Titanic, pris par Morel : On a accusé le capitaine du navire. On a omis le fait que le maitre d’équipage, chargé de donner les instructions pour la descente des canots, s’adressait en italien et en anglais à des hommes d’équipage latino-américains. Nul ne sait, enfin, quelle langue était employée par l’équipe de sécurité.
Dans le cas de ce Conseil d’économistes, rien à craindre de ce type : la communication en milieu technocratique profond se fera en globish. Pour parler du climat, de la démographie et des inégalités, le surdéterminant est clairement l’économicisme. Et l’absence d’économistes comme Esther Duflo, Piketty, Zucman,… promet longue vie à la théorie du ruissellement, et un enterrement de 1ère classe aux hypothèse de répartition.

Top/Down On ne reçoit que de la merde. Bottom/Up Que des trous du cul
Plus de la même chose produit plus du même résultat !
Mon grand-père.
Comme désormais habituel : entre ( ), les nos de pages de l’ouvrage, et [ ], mes commentaires et réflexions. Pour mieux distinguer ces derniers, les caractères sont de couleurs différentes. Les notes et références internes aux textes originaux, sauf mention, ne sont pas prises en compte.
Paul Jorion, 2017. L’argent, mode d’emploi. Paris. Arthème Fayard.
Les formes de la relation de l’homme à l’argent. Pour l’homme ou la femme pauvre, l’argent n’intervient donc que dans sa fonction originelle de moyen de l’échange économique, et celui qu’il ou elle reçoit n’est jamais conservée longtemps ; […]. Par conséquent, c’est sa distribution inégale entre ceux qui en ont trop et ceux qui n’ont pas assez qui fait apparaître une fonction seconde de l’argent : celle de réserve de valeur.
[La pandémie met en évidence, dans les files qui s’allongent sur les trottoirs, dans l’attente d’un sac de nourriture, celles et ceux pour qui la seconde fonction de l’argent est inconnue].
Lorsque l’argent est réserve de valeur, la relation que l’on entretient envers lui est à proprement parler « fétichisée » : l’argent y est révéré comme le fétiche d’une divinité, […]. (117).
[Le crédit à la consommation permet à celles et ceux qui n’ont pas accès à la fonction seconde de l’argent, réserve de valeur, de vivre le fétiche « par délégation » : l’argent est pour eux « contumace ». Le fétiche, pour eux, est déplacé : c’est la marchandise acquise par le crédit – par la création de dette –, et non par une réserve de valeur, qui est le fétiche – issu d’une création ex nihilo. Cet aspect du rôle moteur du crédit, pour l’économie, éclaire la déclaration de Antoine Brunet, directeur au Crédit Lyonnais, au Nouveau Quotidien, en 1991: « L’insuffisance de l’épargne est indispensable à la croissance » et que je citais, dans mon pamphlet, en 2014, précédée du paragraphe : « Ah ! Insoutenable volatilité des essences économiques… Comment prévoir le manque de citoyenneté de consommateurs maniant un principe de précaution surannée : l’épargne ! » Il faut voir ici un bel exemple de schizoïdie fonctionnelle entre la nécessité de créer de la dette et de faire de l’épargne.]
La forme première de la relation à l’argent est, comme je l’ai dit, celle de sa fonction en acte : celle de l’échange, pour laquelle il a été sans nul doute possible inventé. Dans cette relation, l’échange a lieu argent contre marchandise. Elle n’est pas immédiate, mais médiate, puisqu’en plus de moi elle implique l’intervention d’autrui : elle est politique au sens Aristote, puisqu’elle ne peut s’exercer sans passer par d’autres hommes : […]. (118).
Il existe encore une troisième forme de rapport sinon « à l’argent », du moins « par l’argent », et celle-ci nous ramène pour la seconde fois à l’argent tel qu’il existe en puissance, par sa simple possession en sa qualité de réserve de valeur.
Dans sa relation « fétichisée », on a affaire à un rapport à deux termes, entre un individu et l’argent qu’il possède, alors que, dans la relation que j’envisage maintenant, on a affaire à une relation à trois termes, d’un sujet à un ou plusieurs autres et où l’argent joue un élément intermédiaire entre lui et ces autres.
Nous obtenons, nous, possesseurs d’argent, une jouissance qui est comme l’envers de l’envie qu’éprouve un autre pour notre fortune. La jouissance résulte ici du fait d’être l’objet dépensé d’un autre, et le moyen qui permet cette captation, c’est l’argent. (119). […] L’argent a acquis un pouvoir équivalent à celui d’une drogue, non pas sur moi, possesseur de cet argent, mais sur celui qui est conscient du fait que je le possède, et lui pas. (120).
[Nous sommes au-delà de la valeur d’usage et de la valeur d’échange : l’argent devient pur signe – voir le livre de Jean Baudrillard (1972), Pour une critique de l’économie politique du signe.]
Il s’agit du désir de reconnaissance : non pas mon désir de l’autre, dans le cadre d’une relation duelle, mais de mon désir de son désir, portant sur moi ou sur mes appartenances, une relation ternaire, cette fois en trois termes, dont je suis à la fois le premier et le troisième. La femme ne désire pas son amant, elle n’est pas amoureuse de lui, mais elle désire le désir de son amant pour elle : c’est du fait d’être l’objet d’amour pour lui qu’elle est amoureuse. (120-121)
[À ce niveau, je suppose que le milliardaire occupe une position de faiblesse par rapport au SDF. Il est l’égal du dernier des mandataires commerciaux qui vient de s’acheter une voiture « à crédit » pour épater son voisin. Ça doit être dur pour la famille Pinault, qui promet 100 millions, suite à l’incendie de Notre-Dame de Paris, de se faire dépasser par la famille Arnaud ! Forme simulée de potlatch, dans un système de représentations économiques où le don a disparu.]
L’argent selon Aristote. Aristote note que celui qui utilise l’argent uniquement pour l’échanger, c’est-à-dire celui qui recherche le bien-être de sa famille, n’en aura jamais besoin que d’une quantité limitée, alors que celui qui le recherche pour soi, dans l’art de faire fortune, n’en a pas un besoin limité mais potentiellement infini : « La forme d’obtention d’argent associée à la gestion d’une famille possède une limite ; l’acquisition illimitée de la fortune n’est pas son affaire ». (123).
Aristote termine sur la question de l’argent en notant que les intérêts que certains collectent en prêtant celui qu’ils possèdent résultent d’un usage non naturel : c’est utiliser ce qui a pour destination naturelle d’être un moyen d’échange d’une manière que l’on pourrait traduire – bien qu’Aristote ne utilise pas ce terme – d’« incestueuse », à savoir en faisant produire de l’argent par de l’argent. Ce qui, à ses yeux, constituent un véritable détournement de l’usage pour lequel l’argent a été inventé.
[Aristote] sa conception va en réalité beaucoup plus loin : elle condamne la recherche de l’argent pour l’argent et considère que l’art de faire fortune constitue un dévoiement, je dirais « prévisible », chez le marchand, mais une confusion condamnable quand il est le fait d’un simple chef de famille. (125).
[Si Aristote n’utilise pas le terme « incestueux », peut-être que Sigmund Freud n’hésiterait pas à envisager un blocage au stade anal. Dans tous les cas, nous avons basculé dans l’hubris. Je renvoie au petit livre de Dany-Robert Dufour, Pleonexie. [dict. : « Vouloir posséder toujours plus »] dont j’extrais les passages suivants : « […], il est arrivé un moment où, dans l’histoire occidentale, le surmoi-thumos s’est aligné sur le « ça » pour dicter aux sujets l’impératif de la jouissance. (24). « [Marcel Mauss] : il n’hésite pas à parler d’une « horreur de la pleonexie » dans les sociétés « traditionnelles ». (29). Il faudra bien qu’on se rende compte un jour (trop tard, peut-être) que le capitalisme fonctionne comme un enchevêtrement de systèmes de Ponzi. (30). Lorsque crève la bulle spéculative ainsi créée, elle provoque une de ces crises « cycliques » que connaît le capitalisme. Une crise qui ne se calme que lorsque d’autres bulles se forment. Et ainsi de suite. (37). En espérant donner l’occasion de donner l’envie de lire les cinq textes produits par Dufour, dans ce livre.].
(À suivre…)
Les riches ont des angoisses, les pauvres des inquiétudes.
Louis Scutenaire

Désexpérer – Redonner au « peuple » de l’espoir, en privant les experts de donner des avis autorisés.
Aimé Shaman
