Le message, c’est le medium (McLuhan)

Le message, c’est le medium (McLuhan)

Le medium, c’est Madame Irma (les medias) 

Sébastien Dieguez, Vigousse (29.05.29). L’expertise pour les nuls. Rappel d’un article du journaliste Tom Bethell dans le Washington Monthly (1975), où il parle de « the quote circuit » (le circuit des petites phrases).

Un événement d’actualité se produit. Les journalistes ne se contentent plus de le rapporter ou de le décrire. Ils veulent à tout prix l’expliquer. Ils invitent un expert qui est censé donné une explication apportant du sens. Pour des raisons de temps d’antenne, cette explication doit tenir en une petite phrase. Concurrence oblige, cette petite phrase est ensuite récupérée par la concurrence qui a invité d’autres experts pour commenter cette petite phrase. L’expert « original » est ensuite sommé de s’expliquer sur les explications que les autres experts ont donné de sa petite phrase. Méfions-nous, et rappelons-nous du caméléon qui n’a la couleur d’un caméléon que lorsqu’il est sur un autre caméléon : quand on voit un expert qui, Zeitnot oblige, n’a souvent la couleur d’un expert que parce qu’il a été baptisé, ou s’est autoproclamé expert, une infinité d’experts se cache derrière – avec pour seule justification l’estimation d’un journaliste ou la (haute) estimation d’un individu pour lui-même.

Sur le plan médiatique, l’expert n’est souvent qu’un bon client, pour le journaliste à qui il facilite le travail et/ou à qui il favorise l’audimat. Dieguez évoque un « mariage douteux entre l’économie et l’éthique. »

L’opinion des experts s’est substituée à l’opinion journalistique. Le développement des chaînes d’info en continu, la prééminence de la communication sur l’information, la place prise par les réseaux sociaux, l’audimat-vérité, etc. favorisent l’apparition du pseudo-expert (et l’accession de tout un chacun au statut d’expert – les influenceurs et influenceuses représentant une catégorie particulière dont le domaine d’expertise ne repose que sur le vide de la création de besoins par le marketing).

Le pseudo expert – je reprends Dieguez – n’a soit aucune qualification, soit pas les bonnes. J’aurais tendance à penser qu’il facilite le travail des journalistes car il répond de manière ouverte à leurs questions fermées. Une fois qu’il est dans le carnet d’adresses des journalistes pressés, il sera « convoqué ». Après un certain nombre d’apparitions, son expertise sera fondée et il n’aura plus besoin de justifier des qualifications qui ont justifié le statut.

Les individus dont les formations et les expériences permettraient de se revendiquer « experts » sont pris dans ce maelstrom communicationnel et les disciplines qui les ont fondés comme experts disparaissent derrière les combats d’égos, les névroses, étalés en place publique (confondue souvent avec la Place de Grève !).

La période de la pandémie aura encore plus mis en évidence l’importance des experts, lesquels finissent par être assimilés à une vérité. Post truth, entrée dans le Oxford Dictionary qui permettra à chaque expert d’avoir raison.

L’expertise ou la pseudo-expertise dans un domaine permettra de fonder une expertise « tout-terrain », laquelle se base sur un élitisme de l’expertise pour prétendre dénoncer les élites. Pour être sûr que « ça marche », on en appellera au « Peuple » – ne pas oublier la majuscule – et on dénoncera comme « complot » toutes les opinions contraires.

Métastases de la média-pathologie, Onfray et Raoult voisine avec Bigard et Zemmour, illustration de cette post-vérité. Plus de place pour des universités populaires et triomphe de l’universalité populiste – et en écrivant ça, je suis manifestement téléguidé par des Illuminati ou le Groupe Bildenberg.

Mass age is mess age.

Aimé Shaman (qui se prend pour McLuhan).

Comme désormais habituel : entre ( ), les nos de pages de l’ouvrage, et [ ], mes commentaires et réflexions. Pour mieux distinguer ces derniers, les caractères sont de couleurs différentes. Les notes et références internes aux textes originaux, sauf mention, ne sont pas prises en compte.

Paul Jorion, 2017. L’argent, mode d’emploi. Paris. Fayard.

Le pouvoir de l’argent. « […] Le pouvoir que cette possession [la fortune] lui procure immédiatement et directement, c’est le pouvoir d’acheter ; un certain commandement sur toute la force de travail, surtout les produits du travail qui se trouve alors sur le marché. Sa fortune est élevée ou médiocre dans la proportion même de l’étendue de ce pouvoir ; ou de la quantité soit du travail d’autres hommes, soit – ce qui est la même chose – du produit du travail d’autres hommes qu’elle lui permet d’acheter ou de commander. La valeur d’échange de chaque chose doit toujours être exactement égale à l’étendue de ce pouvoir qu’elle procure à son propriétaire. » [Adam Smith] (126-127).

[…], Adam Smith a été porté aux nues au cours des années récentes par les partisans de l’ultralibéralisme qui voit en lui un héros. Il en aurait été fort surpris et – c’est certain aussi – immensément chagriné. (127).

Smith, dans le passage cité, attire l’attention sur les deux sens du mot « commander » et sur le fait que l’argent permet en fait de combiner les deux : l’argent permet de « commander » au sens de passer des commandes, et de « commander » au sens de donner des ordres.

Car c’est là la vraie richesse qui se cache derrière argent : le temps, lequel est bien la seule chose qui soit authentiquement rare pour des êtres mortels, car chacun d’eux dispose du temps que pour une durée imprévisible, essaie de ce point de vue et de ce seul point de vue qu’il existe une véritable égalité entre les hommes. L’argent offre à celui qui le possède la possibilité d’améliorer la qualité du temps dont il dispose en accédant au temps des autres et en le subordonnant ainsi au sien propre. (128).

Les philosophes ont parlé de l’aliénation – le fait de ne pas s’appartenir véritablement –, et c’est dans cette optique que l’on peut en avoir une compréhension intuitive immédiate, en la redéfinissant à partir de la notion de commandement chez Adam Smith : l’aliénation d’une personne est la mesure du commandement qu’elle subit de la part d’autres personnes, autrement dit, c’est la mesure dans laquelle l’emploi de son temps est subordonné à l’emploi du temps de ses autres personnes. (128-129).

Déception, nf. : Phase intermédiaire de lucidité méditative permettant de reprendre des forces entre deux espérances.

Stéphane Legrand. Le dictionnaire du pire.

[La ressource la plus chère (!) au monde, c’est le temps. Certaines pierres ne sont que précieuses, quand le temps est cher. Je devrais plutôt dire « notre temps nous est cher ». Enfant, j’ai souvent entendu dire que « La personne la plus riche du monde voudrait bien acheter du temps à la personne la plus pauvre qui voudrait lui en vendre, mais tu ne le peux pas. » Ambiguïté des termes évoquant l’argent et confusion entre ce qui est précieux, rare, cher, etc. Les aïeux qui me livraient leur considération sur l’argent auraient aujourd’hui tort.

L’argent permet désormais à la personne qui « veut passer commande » peut « commander » à une personne et lui acheter du temps. Donc, désormais, un pauvre peut vendre de son « temps de vie » à un autre. Je renvoie ici aux travaux de Michael Sandel.

Tout est aujourd’hui passible d’être vendu et acheté, y compris le temps. La marchandisation généralisée transforme les valeurs fondamentales de générosité, d’amitié, de citoyenneté – le fait de « payer » ce qu’on appelle « don du sang » peut être contre-productif, par exemple (et certainement renforcer Alain Caillé dans ces hypothèses). Il est bien sûr possible de vendre ses organes, vendre ou louer son corps.

Si je vends une surface de mon corps, pour un tatouage publicitaire, je reste « relativement » maître de mon temps de vie – je ne compte pas le temps passer à réaliser de tatouage. Mais si une femme se loue comme mère porteuse, elle hypothèque de façon indélébile son temps de vie. De la même façon, la personne qui se fait rémunérer pour prendre la place d’une autre, dans une file d’attente, pour acheter des billets de concert, … ampute sur son temps de vie pour permettre la réalisation du temps de vie d’une autre personne. Comble de l’aliénation !

Triste consolation, pour le pauvre, le prolétaire, à l’ère numérique : il était le seul à vendre ses bras, dans les mines. Aujourd’hui, à l’égal du bourgeois, il aliène son temps de cerveau libre sur les plates-formes. Mais si le bourgeois est malin – quod est demonstrandum –, il aura acheté des actions de ces plates-formes…

Time is money – argent – le bourgeois et Time is money – monnaie – pour le prolo ? Pourquoi cet acharnement du système économique dans lequel je vis à vouloir me faire « gagner du temps » ? Nostalgie au souvenir de mon grand-père qui me répétait : « Où coures-tu comme ça ? Tu sais, on va arriver ensemble à la fin de l’année ! »]

(A suivre…)

© Ptich, Vigousse, 2020.05.22

Raconter n’importe quoi sur tout et raconter surtout n’importe quoi !

Aimé Shaman