Faut-il déboulonner Covid de Pury ?
Les seins siliconés, qui ne s’affaissent jamais, même à l’horizontale. La pensée siliconée, celle qui ne s’avachit jamais, et qui tient debout toute seule, dans n’importe quel contexte.
Baudrillard. Cool memories V
Racisme et perte de statu(e)
Déni et refus d’accepter les comportements passés ? Narcissisme qui impose de se trouver parfait ? Besoin de se donner de l’importance en s’accordant le droit de condamner « hier » avec les critères d’aujourd’hui ? Parmi les effets secondaires à l’assassinat de Georges Floyd, une tendance semble émerger, qui consiste à effacer les traces laissées par les négriers, dans notre contemporain en général, de changer des noms de classes et de rues, de faire tomber les statues, en particulier. Récemment, procédant de ce principe, Macron condamnait la colonisation.
Ce qui semblait ne poser aucun problème hier est devenu insupportable aujourd’hui. Ce qui serait très bien si, souvent, cela ne s’accompagnait d’une volonté d’effacer les traces de faire « sans l’histoire » .
Il y a pas mal de temps, un film était sorti, je crois, qui avait pour titre Hitler ? Connais pas ! S’il n’est peut-être pas indispensable de connaître Hitler, il semble par contre souhaitable de pouvoir le reconnaître, dans les manifestations discrètes qui annoncent sa venue. Il n’est ps indispensable au paysan de savoir le nom du météorologue, mais il est peut-être bon de connaître les indices qui préviennent de la grêle.
À Neuchâtel, David de Pury, célèbre négrier, a donné son nom à une place de la ville sur laquelle trône fièrement sa statue. Le « Peuple » de l’époque avait choisi de remercier ce « bienfaiteur » par ce symbole. » L’intitulé de la fiche Wikipédia qui le concerne mentionne, entre parenthèses, ce titre de « bienfaiteur ».
La fiche, qui semble rédigée de manière « objective », nous montre un jeune « employé de commerce », quittant Neuchâtel à 17 ans, pour Marseille, où il se forme aux affaires maritimes. Il part ensuite à Londres travailler pour une compagnie qui fait le commerce d’esclaves.
Aujourd’hui, peut-être qu’un jeune employé de commerce Neuchâtelois quitte sa ville, direction la firme RUAG, pour se former aux ventes d’armes.
Il semble que David se soit surtout distingué d’abord comme négociant en diamants, puis homme d’affaires et banquier. Le commerce triangulaire d’esclaves semble être une activité parmi d’autres.
Un peu comme un Marcel Ospel qui, pour diversifier ses placements, investirait dans des mines de diamant, au Katanga, et qui emploient des enfants en bas âge. Heureusement que Marcel, n’ayant pas légué sa fortune à la ville de Bâle, celle-ci ne lui a pas dressé une statue !
Le Neuchâtelois David de Pury, qui n’a vécu à Neuchâtel que les 17 premières années de sa vie, lègue sa fortune – dont une bonne part vient du commerce d’esclaves – à sa ville : il redistribue à sa collectivité. Combien RUAG redistribue à la collectivité et combien fait-il « ruisseler » sur ses actionnaires ? Combien l’employé de banque Marcel a-t-il redistribué de son patrimoine à la collectivité ?
La seule différence entre le travailleur et l’esclave est tout à fait mineure : elle tient uniquement au fait que le premier est payé, qu’il a la chance de pouvoir se vendre lui-même au lieu d’être vendu par un autre.
Yves Cusset
Bien sûr, nous savons aujourd’hui que le commerce d’êtres humains « c’était pas bien ! » Mais nous savons aujourd’hui, aussi, que notre niveau de vie dépend beaucoup de l’exploitation d’êtres humains, dans les usines du « tiers – monde ». Bien sûr, nous n’appelons plus ces êtres humains « esclaves », plus « prolétaires », mais simplement « travailleurs » ou « emplois ». Ceux qui les emploient prennent souvent la forme de sociétés anonymes et, quand il s’agit d’individus, ne se font plus dresser des statues mais créent des fondations.
Nous savons, par exemple, que certains industriels peuvent empêcher les journalistes de faire leur travail d’enquête sur le travail des enfants, en Afrique. Nous pouvons émettre l’hypothèse que l’investissement de milliardaires dans la presse peut, dans un environnement de post truth, représenter un fort retour sur investissement, malgré des pertes comptables, au niveau des journaux – perte relative si le propriétaire du journal possèdent les marques qui payent la publicité, dans ce même journal.
Au lycée, en France, combien de fois ai-je entendu des camarades prétendre que, « en 40 », ils auraient été dans la résistance. La connaissance du futur est toujours d’une aide considérable en ce qui concerne la prévision !
La modernité est la clochardisation du passé.
Sylvain Tesson

On observe un affaiblissement de la transmission inter-générationnelle. Il est désormais interdit d’interdire et, heureusement, le patriarcat a du plomb dans l’aile. Depuis la « fin de l’histoire », nous avons tendance à nous considérer « référence », « origine » – dans le selfie, le paysage est toujours un second plan, prétexte, la star, à côté de moi, atteste juste qu’elle était à côté de moi. Miroir et tautologie.

On observe un affaiblissement de la transmission inter-générationnelle. Il est désormais interdit d’interdire et, heureusement, le patriarcat a du plomb dans l’aile. Depuis la « fin de l’histoire », nous avons tendance à nous considérer « référence », « origine » – dans le selfie, le paysage est toujours un second plan, prétexte, la star, à côté de moi, atteste juste qu’elle était à côté de moi. Miroir et tautologie.
Qu’il s’agisse de David de Pury, des négriers de Bordeaux ou de Nantes, … nous savons aujourd’hui que leur conduite basée sur la traite d’êtres humains, et la fortune qui en découlait, sont indéfendable. Mais nous savons aussi que beaucoup des rendements des fonds de pensions qui garantiront nos retraites ne sont pas forcément indissociables de l’exploitation d’êtres humains face auxquels nous ne pouvons pas argumenter que nous ne les appelons pas « esclaves ». Il n’empêche que chez Foxconn, à Shenzhen, on a fait poser des filets pour éviter que des « emplois » ne se suicident en sautant dans les cages d’escalier.
Mais il est évidemment plus facile de nous indigner et d’exiger par rapport à des événements du passé, en plaquant nos critères d’analyse sur des référentiels complètement différents, que d’agir dans le présent, face à des situations que nous devrions connaître, mais que nous ne voulons pas voir. Combien de francs du montant de ma retraite dépendent des activités de sociétés aux pratiques plus que discutables, je ne sais pas, je ne peux pas le dire, mais je sais que le niveau de ma retraite dépend des activités de la bourse, lesquelles dépendent de … – théorie de Lorenz : le battement d’ailes d’un papillon, en Amazonie, peut déclencher une tornade, au Texas – et l’espérance d’une réélection de Trump, l’impression de bons du Trésor.

Traduction approx, : Que faire du socle vide au milieu de Bristol ? Une idée s’adressant à la fois à ceux qui veulent la statue de Colston et à ceux qui veulent la détruire : Nous ressortons Colston de l’eau, le remettons sur le socle, attachons un câble autour du cou et plaçons des statues de manifestants, en bronze et grandeur nature, en train de le tirer vers le bas. Tout le monde est content. Une journée de célébration est officialisée.
La proposition que Bansky a faite, après que la statue du négrier Colston ait été jetée dans le port de Bristol me paraît être une solution très intelligente : la statue reste et sert de support de mémoire, dans une mise en perspective historique permettant, en les rappelant, d’éviter de répéter des comportements. On ne peut se souvenir qu’en se rappelant.
Il ne s’agit pas de détruire Auschwitz, mais de nous en rappeler suffisamment, après en avoir été instruit, pour avoir cette décence (common decency) qui nous empêche d’avoir l’idée de faire des selfies devant les crématoires.
Si l’on fait descendre David de Pury de son piédestal, pourquoi ne pas abattre l’Hôtel de Ville, le Collège latin, rétablir le Seyon dans son cours primitif, etc. Ne nous attaquons pas seulement aux symboles, mais également aux avoirs dont nous profitons encore aujourd’hui. Utilisons surtout ces symboles comme bases pour une morale, non d’indignation, mais d’action.
Le travail devenant un moyen de subsistance pour les pauvres et un moyen de faire produire de la valeur marchande pour les riches, il s’entend qu’il devait être formaté à son tour sur un mode moyen.
Alain Deneault, La Médiocratie.