Je blogue, donc je pollue ! (6)

Je blogue, donc je pollue ! (6)

(Suite)
(Source : Coline Tison. 2015. Internet : ce qui nous échappe. Temps, énergie, gestion de nos données. Gap. Éditions Yves Michel)

Cause à mon Cloud, ma tête est malade!

S’appuyant sur de nombreuses expériences, Nicholas Carr observe que la navigation sur Internet ne sollicite plus le circuit de la mémoire sur le long terme, mais le circuit court, celui de la gestion rapide des informations, celui des chasseurs-cueilleurs.
L’homme est en train de perdre ce qu’il avait développé au fil de l’évolution : sa capacité à s’extraire du monde environnant, à trier et à classer les informations, à les mémorisait pour les réutiliser dans d’autres contextes.

Le cerveau humain ne semble pas conçu pour être multitâches. Or, la navigation sur la toile requiert de nous une forme particulièrement intense the multitâche mentale. Notre cerveau est en permanence en train de jongler avec des tonnes d’informations à traiter rapidement.

Les adolescents d’aujourd’hui sont persuadés qu’ils sont parfaitement capables d’être des jongleurs hors-normes : des multitâches. Mais des expériences scientifiques viennent contredire ces impressions.

En 2009, Université de Stanford réalise une expérience et font passer des tests à deux groupes (http://news.stanford.edu/news/2009/august24/multitask-research-study-082409.html). Des petits exercices sur ordinateur. Le premier groupe n’était constitué que d’utilisateurs chevronnés d’Internet. Le deuxième de néophytes. Les surfeurs aguerris se sont révélés moins bons, bien moins concentrés que le groupe peu habitué à surfer. En fait, ils se laissaient plus facilement distraire. Et n’arrivaient pas à se concentrer. Leur cerveau, trop habitué à la navigation sur Internet, n’arrivait plus à penser autrement qu’en étant attirés par la distraction. En clair : « le circuit neuronal de la concentration avait été effacé ». Les informations étaient traitées rapidement mais pas en profondeur, un peu comme des hommes préhistoriques.

À l’université du Michigan, Erping Zhu (1999) à essayer d’évaluer l’influence des liens hypertextes et des images sur la compréhension d’un texte en ligne. Le résultat est étonnant : à mesure que le nombre de liens hypertextes augmente dans le texte, la compréhension diminue. Les lecteurs, avec beaucoup de liens, étaient obligés de consacrer beaucoup d’attention et de puissance cérébrale pour évaluer les liens et décider de cliquer ou non dessus. Cela leur laissait moins d’attention et de ressources cognitives pour comprendre ce qu’ils lisaient. (Tison : 48-49).

Tandis que la vitesse est devenue la norme sociale, professionnelle et politique, nous manquons constamment de temps.

Malgré les progrès techniques, certaines durées ne changent pas. Le temps d’Internet trop rapide se heurte de plein fouet à des temps incompressibles, impossible à modifier. Une minute = 60 secondes. Une saison trois mois. Le jour, la nuit, le mouvement des étoiles, la Lune autour de la Terre, la Terre autour du Soleil. Nous hanteront dans une crise de temporalité quand nous ne pouvons plus faire la différence entre ces différentes échelles de temps, quand tout se mélange. Et c’est (aussi) cela qui conduit à une crise sociale et politique. Quelle stabilité nous offre le présent.

Aujourd’hui, les maîtres mots son rapidité et flexibilité. Le temps de travail se mélange à celui de la famille. Avec Internet, le futur n’est plus demain, mais dans la prochaine minute. Le passé remonte au maximum à la date d’introduction d’une nouvelle technologie qui oblige à actualiser (lecteur de CD, clé USB, etc.).
Lorsque la durée du présent et stable, on peut en profiter pour tirer les conclusions du passé pour orienter l’avenir. Or, aujourd’hui le présent se contracte dans ses dimensions politiques, professionnelles, techniques. Si le présent est plus stable et se rétrécit, alors nous perdons la force d’analyse du passé et le temps de l’évaluation du futur. (Tison : 51).

Alors que la technique oblige à l’adaptation permanente et à un présent qui condamne l’avenir, les grands libertariens patron du Web se préoccupe de notre survie en même temps qu’ils tiennent un discours transhumanistes. Schizoïdie fonctionnelle : taxidermie du passé quand le marketing empêche la communication inter générationnelle.

(Fin… qui ne peut être que provisoire !).

L’utilitarisme a gagné sur le temps. Le multitâche fait tache.Aimé Shaman