L’agonie du progrès (2)

L’État, c’est eux ! (Louis XIV Giga)

Exemple de schizoïdie fonctionnelle dont je parlais dans mon article « La catastrophe aura eu lieu… de la schizoïdie fonctionnelle comme mode de vide » (in Scenario Catastrophe. Coll. Tabou. No 4. Musée d’Ethnographie de Genève) dans le livre de Jean-Gabriel Ganascia, 2017, Le Mythe de la singularité. Faut-il craindre l’intelligence artificielle ? :

Quant aux scientifiques ou aux philosophes qui annoncent avec le plus de vigueur la Singularité, beaucoup comme Stuart Russell ou Nick Bostrom, perçoivent des fonds en provenance d’institutions elles-mêmes financées par les industriels susmentionnés [Nokia, Cisco, Genentech, Autodesk, Google etc.] ce sont donc les figures majeures de l’industrie de l’information, du Web et des télécommunications qui soutiennent de leur largesse les zélateurs de l’hypothèse de la Singularité.
L’affaire ne manque pas de sel, car ceux-là mêmes que l’on considère comme responsables du développement massif et accéléré des technologies de l’information nous avertissent des dangers majeurs que ces mêmes technologies font courir au reste de l’humanité. Nous nous trouvons donc devant des « pompiers pyromane », qui, tout en allumant volontairement un incendie, font mine d’essayer de l’éteindre pour se donner le beau rôle. Emblématique, Google promet de mettre en place un comité d’éthique chargé d’édicter une charte éthique universelle des technologies pour prévenir les violations des valeurs humaines, de la démocratie et des normes du Bien, alors que cette entreprise elle-même enfreint sans vergogne les règlements européens, tout en se moquant des requêtes individuelles invoquant le droit à l’oubli… Les motivations ultimes de ces sociétés demeurent d’autant plus obscures qu’usuellement elles ne cultivent pas la philanthropie. (pp. 107-108).
Rappelons que, jusqu’à présent, et ce vraisemblablement depuis la sédentarisation et la naissance de l’agriculture, dans la plus haute Antiquité, puis surtout depuis la fin du Moyen Âge, le monde se divisait essentiellement en États dominant chacun des territoires sur lesquels il aspirait à régner. Or, aujourd’hui, avec la toile, les territoires du pouvoir ne coïncident plus avec les États : des hommes habitent un pays pendant des années sans en parler nécessairement les langues, sans se soumettre à ses coutumes, sans même s’en soucier, car ils demeurent quotidiennement en liaison avec leur pays d’origine. De plus, l’autorité de l’État ne s’exerce plus intégralement sur les hommes vivant sur son territoire. Ceux-ci peuvent désormais acheter, communiquer, travailler et échanger quasiment librement au-delà des frontières géographiques de leur nation. Enfin, le cyberespace, dont les grandes institutions étatiques – banques, administrations, ministères, industries, etc. – dépendent de plus en plus, apparaît vulnérable à des attaques en provenance de territoires étrangers, sans que l’État n’y puisse rien, ou presque.
Au-delà de cette évolution générale du lien entre État et territoire, l’État souverain moderne, qui était censé assumé un certain nombre de fonctions, se trouve désormais doublé par les grands acteurs industriels des hautes technologies qui prétendent assumer ces mêmes fonctions à sa place, mieux que lui et à moindre coût. Il en va ainsi des fonctions régaliennes traditionnelles, comme la sécurité, la collecte des impôts ou la monnaie, ainsi que les autres compétences qui s’y sont progressivement agrégées comme l’instruction, la santé, la culture, l’environnement, etc. (p. 117).

Toi qui crois que l’espoir fait vivre, respire quand même ! Aimé Shaman