L’économie sous le masque

L’économie sous le masque

Manque de science… pas de bol !                    

Par formation et intérêts, j’articule anthropologie et économie, et c’est pourquoi j’accorde une grande importance à cette dernière discipline. Mais j’essaye de ne pas oublier que nous avons affaire à des systèmes complexes, donc dans lesquels existent – aussi – des boucles de rétroaction. Néanmoins, dans les événements actuels, j’ai tendance à accorder le primat à l’économie ou, plus exactement, à sa financiarisation.

L’espace dans lequel se déroule le débat de la crise sur le coronavirus demeure celui de la « Science » économique. Cyniquement, nous pouvons affirmer que le coronavirus offre à la « Science économique » un magnifique alibi : il permet de camoufler derrière une crise sanitaire la crise financière qui, de toute façon, aurait lieu – et dont la crise des gilets jaunes, en France, peut être considérée comme une anticipation.

Rappel.

Il ne faut pas oublier que nous ne sommes jamais sortis structurellement de la crise de 2008.

Parenthèse.  L’économie a accédé au statut de science grâce à un tour de passe-passe : on ne parle pas du « Prix de la Banque de Suède en l’honneur d’Alfred Nobel » mais du prix Nobel d’économie. Fake new qui, relayée par les médias, accède au statut de vérité (il faudrait voir le rôle joué par les économistes, membre de la Société du Mont Pèlerin dans cette situation).

Friedman (Milton), np. : Humoriste WASP né en 1912, ce Christophe Colomb des sciences humaines a révolutionné l’économie moderne en croyant travailler sur le système phonologique du Dace. Génie précoce, il publie de nombreux essais de « reconstruction des sons vocaliques par variations libres à partir de quelques consonnes bien choisies », qui sont systématiquement interprétées par la communauté scientifique comme autant de brillantes réfutations des postulats keynésiens. En 1976, c’est en sifflotant avec nervosité qu’il recevra son Prix Nobel d’économie. Tel que l’ont reconstituée ses exégètes, sa théorie néo-libérale rattache les fluctuations de l’économie aux variations de l’offre de monnaie. Psychologue behavioriste de premier ordre, Friedman (Milton) aurait également, en suivant la même méthode, été le premier à réfuter Pavlov en démontrant sans contredit possible qu’en réalité le savant agitait la clochette parce que le chien salivait. Il travaillait d’ailleurs à une théorie météorologique consacrée à l’influence causale des variations du mercure dans son thermomètre sur les fluctuations du climat, lorsqu’une mort épouvantable l’a malheureusement rattrapé. À la suite d’une dissection approfondie de son cadavre et d’un examen méticuleux de la bile contenue dans son hypothalamus, le médecin légiste parvint à établir qu’il avait tellement cessé de vivre qu’il en était mort. Tous le regrettèrent beaucoup et son ami Ronald Reagan en fut si triste qu’il en devint président des États-Unis d’Amérique.

Stéphane Legrand. Dictionnaire du pire. 2010

© Inconnu

Des individus, porteurs d’une idéologie servant l’homéostasie d’un système, ont pu, dans une opération de pensée magique, doter une discipline des sciences humaines – L’économie – de la rationalité des sciences exactes, réussissant à faire passer des fétichismes culturels pour des invariants « naturels ».

L’Homme est un être rationnel. La logique des comportements collectifs correspond à la somme des comportements individuels. Le marché existe car ils l’ont rencontré et sur ce marché, ils ont vu copuler, dans la plus parfaite harmonie appelée transparence et libre concurrence, une offre et une demande, etc. Presque plus d’efforts à faire pour que l’ontologie devienne une branche de l’économie !

Le politique est soumis, non à l’économie politique, mais à la Science économique – There Is No Alternative – qui, pour les besoins de la sacro-sainte survie de notre système social a besoin de la croissance (laquelle a besoin de la dette pour camoufler qu’elle est déjà en coma artificiel).

Pour le conseiller, ce politique est entouré de consultants et d’experts formatés aux mêmes (grandes) écoles et titulaires des mêmes MBA que les collègues de promotion travaillant pour la pharma, pour les lobbys, pour les agences de notation et pour les Big four.

Whenever you find yourself on the side of the majority, it is time to pause and reflect.

Mark Twain

Dans la vision du monde de cette intelligentsia, les salaires sont des dépenses, les investissements correspondent à des diminutions de dividendes. Les gains des actionnaires doivent être le plus élevé possible, dans un minimum de temps.

Ces actionnaires consentent à des salaires confortables pour leurs consultants et experts car il s’agit alors, dans ce cas, d’un investissement. Dans une crise comme celle que provoque le coronavirus, on s’aperçoit d’ailleurs de l’écart des niveaux de salaire qui existent entre les postes qui créent de la valeur en faisant face à la crise et ce qui capte cette valeur, dans le jeu de la financiarisation.

© du site https://www.investir.ch/2020/04/les-soldes-au-pays-de-lor-noir/ Thomas Veillet

Parenthèse.

Une étude intéressante à faire serait celle qui nous permettrait de mettre en rapport les postes de télétravail avec ce que David Graeber range dans la catégorie « bullshit Jobs ». Gros présupposé de départ : le pourcentage de Jobs dont la nature est de parcourir des tableurs Excel doit être très élevé.

Le champ de la Science médicale

Les impératifs financiers ont une influence évidente sur l’organisation du champ de la médecine et sur les interactions entre les différents acteurs. Ce qui pourrait paraître homogène et harmonieux, puisque régi par La Science médicale, se caractérise surtout par des clivages – ah, ces sciences humaines qui veulent se présenter comme « exactes ».

Les clivages sont principalement le résultat d’intérêts divergents finances publiques / finances privées / pharmas et labos / universités / médecins généralistes / médecins spécialistes / recherche publique / recherche privée / etc., espace dans lequel se confronte les stratégies d’egos, de services, de domaines, etc.

Un clivage important semble celui entre une médecine « de prévention » et une médecine « de réparation », lequel, au-delà d’intérêts sectoriels et personnels, peut découler de visions du monde différentes. Quand le sanitaire dépend de financiers dont la vision utilitariste ramène tout, y compris la vie humaine à un rapport coût(s) / Bénéfice(s). Pour celles et ceux qui douteraient : écoutons Trump disserter sur le nombre de morts comme moindre mal face à un arrêt de l’économie… Oui, aussi pour sa réélection !

Des politiques publiques devraient être préoccupées des soins à moindres coûts quand les stratégies marketing des labos peuvent se situer à l’opposé (d’où la présence de lobbys). Par exemple, le traitement contre le coronavirus met en évidence une solution bon marché – hydroxychloroquine + azytromycine (env. 15 €) – quand des « autorités » insistent sur des recherches en cours pour un traitement (Remdesivir) dont les coûts sont estimés à env. 1000 €.

Les conflits internes au monde médical semblent opposer les universitaires et ceux qui ne le sont pas. C’est comme si l’entropie était à l’œuvre : on constate une perte de prestige lié au titre de Docteur face au titre de Professeur. Que faut-il faire pour être nommé prof de médecine ? Quel est le pouvoir du prof de médecine à l’intérieur du monde médical ? Actuellement, si l’on se fie aux plateaux de télévision, il semble y avoir une multiplication de cette engeance. Sur le front du coronavirus, une foultitude de profs vient causer dans le poste pour donner des avis fortement « scientifiques », quitte à faire douter le spectateur du statut objectif de la médecine.

Face à la pandémie, les médecins généralistes paraissent « rejetés » du champ de la médecine. En France, le fait qu’ils ne puissent pas avoir accès à la chloroquine paraît illustrer cet état de fait. Désormais, en médecine, il semble y avoir la Science – l’Université – la médecine 2.0 (des machines et des technologies numériques utilisant des Ouvriers Spécialisés [OS] mettant en mots les maux pour annoncer des diagnostics à des « humains ») – et enfin les médecins généralistes, lesquels semblent désormais confinés un rôle de plaque tournante, pour orienter des demandeurs de prestations vers des spécialistes. Et de ces quatre acteurs de la médecine, seul le dernier semble devoir souscrire au serment d’Hippocrate. Le fossé semble grandir entre les médecins et certains qui sont censés l’être, qui jouent aux scientifiques qu’ils ne seront jamais (voir ce que disent Morin et Jean-Dominique Michel de la culture épistémologique du monde médical, le débat sur l’EBM, etc.).

Face à la situation créée par la pandémie, le politique se défausse et tient un discours surtout destiné à cacher ses lacunes. Par exemple, le discours sur l’efficacité des masques semble principalement cacher le fait qu’il manquait des masques. Discuter sans fin sur ce manque permet de ne pas aborder qu’il manque également des médicaments de base, du curare, etc. Soumis aux -sation (globalisation, mondialisation, financiarisation,…), le politique cache son impuissance.

Certains qui se réjouissaient de voir dans la situation créée par la pandémie le retour de l’État ne voit pas justement cette impuissance – c’est celle-ci qui permet à Trump de flatter les populismes en mettant en cause le confinement imposé par des gouverneurs démocrates. Dans une telle situation, quel peut être la mainmise de l’État sur une quelconque politique sanitaire ? Celle-ci ressemble de plus en plus à un PPP (Partenariat Public-Privé) où le partenariat est privé du public, dans l’abandon par l’Etat de ses fonctions régaliennes.

Et les lobbys, comment se manifeste-t-il pendant la pandémie ? Quels sont leurs stratégies actuelles dans les sphères du « pseudo-pouvoir » politique ?

Dans un tel environnement, d’un côté, le politiquement correct impose de facto un manque de « courage » qui oblige à se taire face à « l’autorité des experts ». Dans les médias, en particulier les chaînes d’info continue, la présence massive de professeurs de médecine qui viennent expliquer qu’ils ne savent pas. Et des politiques qui avancent en les utilisant comme bouclier, des journalistes qui les présentent en évitant de creuser et de personnaliser leur papier, mais qui permet, en les interrompant, de penser dominer leur sujet.

De l’autre côté, les réseaux sociaux qui, comme l’écrivait Umberto Eco « ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlez qu’au bar, après un verre de vin et ne causer aucun tort à la collectivité. On lui faisait taire toute suite alors qu’aujourd’hui, ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles. » À rapprocher de ce que disaient, dans une époque ancienne, à propos des postes à transistor, Jean Rostand, (je cite de mémoire) : « La bêtise ne s’est pas faite plus rare, elle est juste devenue plus bruyante ! ».

Je conclurai provisoirement en reprenant Jean-Dominique Michel, citant Hannah Arendt : « Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez. »

Et, aux États-Unis, le peuple de Trump qui descend, armé, dans la rue, pour s’opposer au confinement et pour reprendre le travail… pour avoir de quoi s’acheter l’écran plat qui permettra d’oublier l’absence de sens au travail, et qui fera augmenter les dividendes de l’actionnaire de la fabrique d’écrans plats…

Primat de ce que l’on nomme désormais l’économie, à savoir la consommation et l’accumulation de biens matériels comme préalable bonheur, à jamais reporté, et qui est censé permettre une croissance sans fin.

(À suivre…)

Celui qui se plante beaucoup se cultive énormément.

Aimé Shaman