Préparation à la fin du monde.

Préparation à la fin du monde.

Le réel forclos *             

*La forclusion a plusieurs sens : 1. En droit, la forclusion éteint l’action en justice pour des raisons de délais. 2. En psychanalyse, elle est un mécanisme de défense spécifique aux psychoses selon Lacan. 3. En économie, la forclusion est définie de manière générale comme la capacité d’une firme détenant un pouvoir économique sur un marché d’affecter par son comportement la structure d’un autre marché.

Dans son dernier livre (2018), que je lis comme un hommage à Jacques Ellul, L’intelligence artificielle ou l’enjeu du siècle. Anatomie d’un antihumanisme radical, Éric Sadin prolonge les hypothèses développées par, entre autres, Guy Debord et Jean Baudrillard, du simulacre et de la disparition du réel.

Le numérique permet la production d’une hyper-réalité sans humain dans laquelle un Lacan – si son existence y était encore envisageable – pourrait dire : « Le réel, c’est quand le robot se cogne. Même pas mal ! ».

Dans un monde où la technologie aura fait disparaître les conditions de réalité de l’humanité, la nature pourra passer à autre chose.

Extrait.

Nous vivons le moment de l’abolition à grande vitesse de toute distance entretenue avec le réel, celle ayant prévalu depuis la nuit des temps, au profit d’une fusion réalisée avec notre milieu faisant office de plasma perpétuellement régulateur. En 1637, Descartes, dans Les Méditations métaphysiques, entreprend le récit de l’effort méthodique de pensée, dont chacun est en théorie capable, dans l’objectif de se munir des bons instruments de compréhension du réel. Aux fins de retrouver les bases premières de la certitude et de refonder la connaissance scientifique, il estime devoir s’isoler, se retirer loin de ses contemporains, dans une forme, jugée salutaire, d’écart. Dès lors, être lucide consistera à cultiver le retrait, l’exploration active, la distance critique. Car ladite « intelligence artificielle » produit une « lumière blanche » sur tout phénomène, plus rien ne devant rester situé dans des zones brumeuses et énigmatiques, celles qui précisément mobilisent notre intelligence et nous offre la chance d’établir des liens ouverts et potentiellement féconds avec les êtres et les choses.

Nietzsche estimait que la volonté de faire sens de tout, d’avoir raison de tout, tenait d’un déni de la complexité irréductible du réel. Elle relèverait de la folie. Elle remonterait selon lui au rationalisme socratique qui, grâce au recours de la dialectique, prétendait offrir les moyens de dépasser les contradictions du sensible, de s’affranchir des tourments de la vie et d’accéder au vrai, conformément à une propension qu’il dénonçait dans un chapitre du Crépuscule des idoles intitulé « Le problème de Socrate ». Et alors, par notre pulsion à vouloir nous affranchir de notre vulnérabilité, à nous dotée d’une maîtrise intégrale, nous serions arrivés à nous défaire de nous-mêmes, de nos facultés, engendrant un nouveau type de vulnérabilité, mais non encore patent à ce jour. Il est encore trop tôt pour que nous soyons pleinement conscients de ses premières manifestations. (2018:223).

Le réel est ce qui doit être défendu, car il conditionne la possibilité d’éprouver sans retenue l’étendue virtuellement infinie de nos facultés, de les parfaire et de nous inscrire comme des êtres singuliers évoluant au sein d’un ensemble commun. […]. Défendre le réel devient le nouveau nom singulier de la lutte politique majeure de notre temps. (2018:225).

Prochains tirs depuis Mars?

Pour une disparition totale du réel, il ne reste plus qu’à en finir totalement avec le temps, comme cela a été fait avec l’espace.

Moment pour nous rappeler de l’hypothèse Gaïa et de ce qu’en dit Isabelle Stengers.

Les hommes politiques en font trop, mais ils n’ont pas les moyens d’en faire assez.         

Aimé Shaman