Gilets jaunes en Agora (2)

Gilets jaunes en Agora (2)

Philosophie Magazine No 126

Le numéro du Philosophie Magazine de février 2019 traite de Qu’est-ce qu’une sainte colère ? , avec un Dossier : « Gilets jaunes », et maintenant ?

3 extraits d’articles.

Pierre Zaoui, Philo mag numéro 126 février 2019, p. 20

Aujourd’hui, le peuple est revenu, il est là : il est politiquement, métaphysiquement, esthétiquement contradictoire, rêvant de tyrans et les honnissant, voulant du pouvoir d’achat et se moquant, beaux et les à la fois.

Bernard Stiegler, Philo mag numéro 126 février 2019, pp- 24-5

[…] pour moi qui suis « homme de gauche », la question importante est de savoir ce que serait une grande politique industrielle de gauche relevant les défis de l’Anthropocène et de l’automatisation – c’est-à-dire aussi face à l’« intelligence artificielle ». Affrontait cette question suppose de surmonter la pensée de la critique marxienne, à savoir : l’entropie. Tous les systèmes complexes, tant au niveau biologique qu’au niveau social, sont voués à une déperdition de différentiel – d’énergie, de biodiversité, d’interprétation de l’information – qui mène au chaos anthropique. Le concept de néguentropie, qui fut avancé à partir des travaux d’Erwin Schrödinger, désigne la capacité du vivant à différer la déperdition d’énergie en se différenciant organiquement, créant des îlots et des niches installant localement de la « différance » (comme disait Jacques Derrida) par laquelle de l’avenir s’inscrit comme bifurcation dans le devenir entropique ou tout s’indiffère.

Le point fondamental est ici que, tandis que l’entropie s’observe au niveau macroscopique, la néguentropie s’observe au niveau macroscopique, la néguentropie ne s’instaure que localement par des conversions d’énergie sous toutes ses formes – y compris l’énergie libidinale, et Freud est avec Bergson le premier à comprendre le changement radical de point de vue requis par l’entropie. Le « repli nationaliste » est une expression symptomatique de l’explosion entropique provoquée par la mondialisation comme Anthropocène. À quoi il faut répondre par une nouvelle politique économique et industrielle valorisant systémiquement la néguentropie.

[…]. il s’agit avant tout de valoriser le travail plutôt que l’emploi et de généraliser le système des intermittents du spectacle : l’idée est de pouvoir garantir aux gens 70 % de leur dernier salaire dans les périodes où ils ne travaillent pas à condition qu’ils retrouvent au bout de 10 mois un emploi intermittent – dans le cas des intermittents du spectacle, pour 507 heures, après quoi ils ont « rechargé leurs droits » au revenu contributif.

Chantal Delsol, Philo mag numéro 126 février 2019, p. 25

Aujourd’hui, la différence culturelle est surtout idéologique : l’élite est cosmopolite et postmoderne, le peuple est conservateur et enraciné. Pour reprendre une phrase récente, l’élite se préoccupe de la fin du monde et le peuple de la fin du mois. […].

[…]. Celle [réforme] qui consisterait à donner aux territoires une autonomie entière, et à rendre chaque corps intermédiaire responsable de son destin, comme en Suisse. Mais cela ne se fera jamais : la France est jacobine, et ces élites ne sont pas vraiment démocrates. Je crois que nous sommes voués à des révoltes sporadiques, comme tout peuple mature que l’on traite comme s’il était immature.

J’ajouterai cette mention, dans l’article d’Alexandre Lacroix du même numéro (2019:48)

« Aujourd’hui, les 67 personnes les plus riches du monde possèdent autant que les 3,5 milliards les plus pauvres. Même un La Boétie en serait resté interloqué. »

Cette remarque résonne en écho au Cours de Alain Supiot La Généalogie de la démocratie économique où il est question de politique et de redistribution (je vais mettre en ligne des larges extraits du site du Collège de France consacré à ce cours).

On ne fait pas d’Hamlet sans casser d’Yseult

Aimé Shaman