Quand ton voisin crie de faim, rote et tu n’entendras rien !

Quand ton voisin crie de faim, rote et tu n’entendras rien !

Le pire de toute la multitude fit quelque chose pour le bien commun.Bernard Mandeville

La théologie et la philosophie morale appuyant la médecine pour faire accéder l’économie au rang de sciences exactes au moyen du concept dur de « main invisible ».

Passages du livre de Tomas Sedlacek. 2013. L’économie du bien et du mal. Paris. Eyrolles.

[…] Moins connu qu’Adam Smith sans doute, il [Bernard Mandeville] est le vrai père de l’idée de la main invisible du marché telle qu’on la connaît de nos jours. Cette théorie aujourd’hui attribuée à tort à Adams Smith a profondément marqué la moralité de l’économie. Elle postule que l’éthique privée n’a pas d’importance ; tout ce qui se passe, moral ou amoral, contribue au bien-être général. On soupçonne sans peine que, dès lors qu’un tel principe se répandait et se simplifiait, l’éthique devenait hors sujet. Universelle à l’origine, l’idée d’une relation entre économie et éthique, déjà rencontrée dans l’Ancien Testament, en a été bouleversée. Avec Mandeville on a commencé à prétendre que plus les vices sont nombreux, plus le bien-être matériel peut être grand. Paradoxe de l’histoire, quand Bernard Mandeville a présenté l’idée de la main invisible du marché, Adam Smith s’en est distancié vivement et totalement. (p.186)

Déjà, sont nom semblait prédestiner Adam Smith à devenir le père fondateur de l’économie de l’ère scientifique, l’homme qui renverserait les vieilles idées contestables et donnerait un cadre fixe à l’étude de l’économie. Le nom Smith (« forgeron » en anglais) parle de lui-même : dans l’Ancien Testament, le nom hébreu Caïn signifie aussi « forgeron ». Abel, au contraire, signifie souffle, brise ou futilité. Quand Caïn, forgeron et fermier, tue le pasteur son domicile fixe Abel, il l’envoie « aux vents ». Adam mais rien moins que le nom du premier homme (en hébreu, « Adam » veut dire « homme »). Ainsi, dont son nom même, Adam Smith, l’homme – forgeron, réunis étymologiquement un rare cocktail de sens.
Présenter Adam Smith comme forgeron de l’économie égoïste classique et bien sûr un peu plus compliqué. Un lecteur ordinaire pourrait par exemple être raisonnablement surpris par la première phrase de sa Théorie des sentiments moraux : « Si égoïste l’homme puisse-t-il être supposé, sa nature contient évidemment certains principes qui font qu’il s’intéresse au sort d’autrui et que le bonheur de ce dernier lui est nécessaire, mêmes s’il ne lui apporte rien d’autre que le plaisir de le contempler. » (p. 195–6).

La Théorie des sentiments moraux (1759) a été écrite bien avant les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776). Tomas Sedlacek, dans le paragraphe suivant, Richesse contre éthique, semble « prendre la défense » de Smith en montrant qu’il se préoccupait d’éthique,ce qui, en creux, peut vouloir dire qui n’avait pas le « cynisme » de Mandeville.
Ce point ne me semble pas des plus importants. Il me semble plus intéressant de noter que Smith et Mandeville* ont eu une trajectoire identique, partant de préoccupations « morales » et humanistes pour en arriver à chercher des explications « utilitaristes » à l’économie.

* Mandeville était médecin et il peut être considéré comme un précurseur de la cure psychanalytique. Il soignait par la parole. Il fut en outre traducteur des Fables de La Fontaine. Et il est bien connu qu’une fable se conclut par… une morale (dont la philosophie n’est pas directement celle de La fable des abeilles ou les fripons devenus honnêtes).

L’Orgueil et la Vanité ont bâti plus d’hôpitaux que toutes les Vertus réunies.Bernard Mandeville

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