Une fille d’Alger

Une fille d’Alger

Commentaire au roman de Jean Michel  

Jean-Michel Devésa, Une fille d’Alger, Bordeaux, Mollat, mars 2018, 143 p.

J’ai terminé la lecture de ton roman. Comme promis, je te donne un retour. Je dois avouer que je n’ai pas l’habitude de ce type d’exercice et, qui plus est, avec l’auteur. Je ne me contrains pas à une extrême cohérence du commentaire (litote).

Sur un plan tout à fait personnel, le roman m’a rappelé ma jeunesse et ma renonciation à LA politique et mon intérêt pour le politique (dans les années 1960-1962, au cours de manifestations, j’ai eu l’occasion d’observer en direct le comportement pour le moins contradictoire des forces de l’ordre sur le territoire métropolitain).

Excellente révision de connaissances qui avaient tendance à s’estomper et souvenirs d’un séjour en Algérie, la « République » une et indivisible nous y ayant envoyé, petits lycéens, en attendant peut-être que nous devenions de jeunes appelés du contingent.

Au plan de la structure du roman, j’ai été intéressé par l’imbrication du récit d’Hélène / Samia avec celui du Scripteur / Narrateur. Structure duale permettant une atmosphère « schizoïde » permanente et des « différences de niveaux » qui maintenant le lecteur « en éveil » (ce maintien en éveil est renforcé par une ponctuation – en particulier les virgules –  non conventionnelle) :

· Identité des personnages : français, arabe, pieds-noirs,…

· Statut des personnages : mari, femme, amant, maîtresse,…

· Langue : français, arabe (succession des deux langues « en continu » dans les phrases, p. ex.).

· Niveaux de langue : familier, recherché, documenté,…

Certaines des parties du discours du scripteur font changer le statut de l’ouvrage qui passe de « roman » à article de presse ou de sociologie (avec cet avantage sur le sociologue de ne pas avoir à s’occuper de pseudo-objectivité).

L’allusion de Pagès à Proust, dans son article, portait sur le style. Je ne sais pas s’il étendrait la similitude en ce qui concerne le rapport au temps. Pour ma part, et en me rappelant (!) que je ne suis pas un exégète de l’auteur de la Recherche, il me semble que cette recherche ne s’inscrit pas dans une même démarche.

Dans mes souvenirs de Proust (je ne parle pas du style), ce dernier évoque pour « se complaire », complaisance que je n’ai à aucun moment ressentie dans le roman (j’aurais même plutôt tendance à y chercher un antonyme, mais je n’ai pas les clés qui me permettraient de détecter l’autobiographique dans le récit). Si Marcel Proust tourne autour de la Madeleine (toute ressemblance avec les Andalouses serait pure coïncidence), l’attelage Hélène / Samia / Le Scripteur donne une structure qui permet d’accepter les injonctions paradoxales posées par Hélène et son double (et réciproquement). «… c’était que sa lucidité ne se résoudrait à adouber Hélène Samia, elle était tout autant une étrangère pour les fils de son père que pour ceux de sa mère. L’accident ce n’était pas elle mais ses géniteurs,… »

L’attelage est un trio, et comme le dit le narrateur, « un trio c’est toujours trois plus un mort ». Proust va au cercle quand l’attelage « fait retour » pour atteindre la Sophia. Accepter qu’il y ait un mort impose la pacification.

Au plan littéraire, j’aime beaucoup la langue qui est ample, qui gonfle et reflue, et où la ponctuation (ou son absence) maintient les bars. La langue du scripteur sait créer le cynisme de bon aloi qui traduit les événements politiques dans leur fraîcheur velléitaire.

Il serait trop long de retranscrire toutes les phrases et expressions que j’ai beaucoup appréciées. Je te confierai juste que j’ai été arrêté, dès l’ouverture du livre, par un exergue In mémoriam ; que, si je me suis rappelé Zarathustra (Vénérez la maternité, le père n’est jamais qu’un hasard) en lisant que « c’est à croire que l’Algérie est le pays par excellence de la forclusion des géniteurs. », j’ai dépassé Nietzsche en lisant une des dernières phrases de ton roman : « La paternité ne peut être que littéraire et évangélique lorsque la maternité s’avère bordélique,… ».

En résumé et sincèrement, j’ai bien aimé ce livre tant pour son contenu que pour son style. Et je me réjouis déjà de lire le suivant. J’espère que j’aurai l’occasion de discuter de vive voix avec toi du livre, mais aussi de ce que cela a réveillé chez moi sur le plan personnel, par rapport à l’Algérie, mes amis Pieds-noirs et Algériens, etc. À part cela, j’espère que vous allez bien. Avez-vous passé de bonnes vacances ? Au plaisir de vos nouvelles. Je vous embrasse.

Pour devenir l’identité qui nous a été donnée, il ne faut pas tuer le Père (qui est en nous), mais tuer le fils (qui nous met « hors de nous). rte

Aimé Shaman