Après le nihilisme

Après le nihilisme

Extrait de l’article de Mehdi Belhaj Kacem « Après le nihilisme » in Nietzsche. l’anti-système. Philosophie magazine. Hors-série numéro 26.

Le nihilisme définit le projet métaphysique occidental lui-même, et collatéralement la théologie chrétienne qu’il a alimentée de ces concepts mensongers. Quel est ce mensonge originaire, qui se confond avec l’origine de la philosophie elle-même, en la personne de Platon ? Il réside dans le pacte fiduciaire inconditionné qu’elle conclut avec la science, et notamment la mathématique. En quoi consiste l’opération ? L’extase mathématique, pensait Platon, nous donne accès à des entités éternelles, qui contrastent avec le caractère en apparence changeant et corruptible de toute chose. Dès lors, la philosophie prétend pouvoir étendre cette éternité « entitative » à tout ce qui est : tout l’aspect changeant, temporel, passager de ce qui se donne à nos sens n’est qu’illusion ; des entités mathématiques, on peut déduire tout un arrière monde d’entités fixes et immuables, éternelles et s, qui sont la vraie réalité de toutes choses, et à quoi le disciple de la philosophie peut avoir accès. Puis, plus tard, le croyant chrétien : Le christianisme, verra fort bien Nietzsche, par la faute de Paul et Augustin, est un platonisme pour les masses : l’éternité et l’immortalité des Principes, à la portée de tous.
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Les formes « éternelles » des mathématiques n’étaient justement, que les formes, des constructions de l’entendement humain. […] Non seulement ces entités fictives, les principes sur lesquels l’humanité a vécu, s’avèrent n’avoir pas remédié au caractère évanescent, passager, corruptible de toute chose ; mais, bien plus grave, ces Principes sublimes se sont avérés eux-mêmes beaucoup plus rapidement corruptibles que ceux à quoi ils étaient censés faire pièce. Tel est, en son noyau stratégique, le « nihilisme ».
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Être et devenir
le nihilisme, c’est l’auto-révélation du mensonge foncier de la philosophie en son envoi platonicien, sa mythomanie. À la racine de ce mensonge, il y a le contrat premier conclu avec la science : les formes mathématiques n’étaient, justement, que les formes. […] Un primate, il y a quelques dizaines de millénaires, subit une modification génétique qui s’avère être une sorte de miracle instrumental : naît la techno chasse et agriculture, qui permet à cette espèce, à partir du Néolithique, de prendre peu à peu le dessus définitif sur toutes les autres […]… nous, nous avons reçu de la seule contingence in-sensée du devenir (et non de « l’être » fixe de la métaphysique), l’arme absolue, l’arme fatale de la technologie, qui nous permet de nous approprier, avons-nous cru, toutes choses de manière illimitée, dans des proportions délirantes par rapport aux capacités préhensiles et alimentaires des milliards d’autres espèces ayant peuplé la terre jusqu’à nous.

La suite au prochain numéro…

Néoténie permanente entretenue dans le développement des sociétés de services. Passage de l’endo- à l’exosomatique qui ôte à la main de son rôle dans la fabrique de langages et de symbolique. Augmentation de la consommation d’énergie pour masquer l’incapacité à produire de la néguentropie.Aimé Shaman