En faire chez les autres…

En faire chez les autres…

Alain Supiot. La gouvernance par les nombres. Cours au collège de France (2012 – 2014).
Extraits des pp.43-45 (Les notes de l’auteur ne sont pas reportées ici).

Du gouvernement à la gouvernance
La volonté d’étendre au gouvernement de la société tout entière ce que l’on imagine être une organisation scientifique du travail n’a, en effet, nullement disparu de nos jours. Elle a seulement changé de modèle. Le modèle physico–mécanique de l’horloge, qui avait partie liée avec l’idée de règne de la loi, a été supplanté par le modèle cybernétique de l’ordinateur. Dès lors, l’organisation du travail n’est plus conçue comme un jeu de poids et de forces dont le travailleur ne serait qu’un engrenage, mais comme un système programmable faisant communiquer entre elles des unités capables de rétroagir aux signaux qu’elles reçoivent en fonction de cette programmation. Ce modèle a été importé dans la sphère publique par la doctrine du New public management, dont la mise en œuvre fait l’objet d’un large consensus politique, et que n’aurait pas répudié les théoriciens du Gosplan.
C’est l’un des pères de la cybernétique, Norbert Wiener, qui a été le premier à avoir l’idée de projeter ce mode de fonctionnement sur l’ensemble de la société, dans un ouvrage publié en 1950, intitulé Cybernétique et Société et dont le sous-titre était déjà lui-même tout un programme : « L’usage humain des êtres humains ».
[Supiot cite ici la thèse de Wiener]
Ce texte est particulièrement éclairant pour comprendre le passage du gouvernement à la gouvernance (ou de la réglementation à la régulation) dans le vocabulaire institutionnel de ces trente dernières années. Le propos de la gouvernance est en effet de reposer non pas sur la légitimité d’une loi qui doit être obéie, mais sur la capacité commune à tous les êtres humains d’adapter leur comportement aux modifications de leur environnement pour perdurer dans leur être.