On n’arrête pas le progrès !

On n’arrête pas le progrès !

Vous avez un mandat d’arrêt ?

Dernières pages du livre de Pascal Chabot, Après le progrès (2008. Paris.PUF) :

L’homme n’est pas innocent. Il désirerait parfois. Il voudrait, au lieu de l’éternelle marche en avant par certains de ses aspects ressemblent à la marche de Caïn, le fondateur de la première ville à l’est d’Éden, tous sont issus ce qui forge le faire et l’airain, être capable de l’immobilité insouciante qu’il a jadis connue. Mais il ne le peut. La seule immobilité d’après l’acte est celle d’Abel, une immobilité éternelle. L’homme, lui, est toujours en route. Et ce n’est pas sa bonne conscience, nécessaire à son humeur, qui fera en sorte que ça marche soit neutre, qu’elle n’ait pas d’impact. L’empreinte de l’homme sur terre et colossale. Chacun de ces pas a des conséquences en termes de pollution, d’atteinte à la biodiversité, de propagation parfois superflue d’un mode de vie qui pourrait être plus simple. Mais il est humain. Ce repas est le sien, cette marche est la sienne, l’évolution qu’il a suivie et qui l’a mené à se distancier toujours plus d’une nature qui lui était souvent hostile, a eu lieu. Elle est irréversible, et si elle peut entraîner la nostalgie ou le fantasme d’une nature amie – car « sans la poésie, écrit Reverdy, la nature ne serait jamais devenue l’amie, la douce compagne de l’homme. À présent elle le berce et le nourrit, mais toujours pour le dévorer, comme elle fait de tout ce qu’elle engendre pour subsister comme le fameux pélican » –, elle ne peut cependant pas être annulée. L’existence est irréversible. La catastrophe en témoigne. Et c’est dans le sillage de la catastrophe que le progrès doit être pensé. Mais cette catastrophe, cependant, ne peut être le dernier mot. Si elle doit être assumée et reconnue, si l’innocence de l’homme doit rester un mythe des origines comme pour rappeler toujours que l’inéluctable n’est qu’une voix parmi d’autres, elle ne peut cependant prendre toute la place car alors elle aliènerait toutes les énergies. La marche en avant de l’humanité est impensable dans l’innocence : l’homme prend trop de place, son pas est trop large, à sept milliards, il est une armée à laquelle rien ne résiste. Pourtant il continue à marcher. L’immobilité n’est pas une solution. Et peut-être Bergson, au milieu du vacarme, fait-il encore entendre sa petite musique.

L’insatisfaction est un fantasme qui monologue avec l’environnement.Aimé Shaman