Mandeville était, comme on disait à l’époque, un « médecin des passions de l’âme ». Il a écrit, en 1711, Treatise of the Hypocondriack and Hysterick Passions [trad. 2012. Un traité des passions hypocondriaques et hystériques]. À l’époque, la question est : Comment sort-on le monde d’un état de pénurie et de rareté pour le faire passer à l’état d’abondance ? Hobbes avait postulé un État fort pour supprimer la violence que la rareté provoque – « L’Homme est un loup pour l’homme ». Mandeville écrit, en 1714, La Fable des Abeilles. L’honnêteté rend pauvre ; les vices privés font la vertu publique. Ça ruisselle !
Et en plus – Moins !
Pour faire suite à mon post du 19 mars, lui-même “inspiré“ par mon post du 15 mars, je me permets de reproduire ici l’Édito de la rédaction du bimensuel – Moins! – N’ayant pas le profil d’un influenceur, je n’irai pas jusqu’à dire que je leur fais de la pub.
Manifestement, Klaus Schwab provoque certaines réactions (même si ce n’est pas du côté de « La Réaction »).
– Moins ! no 69 Numéro érotique. No Mars et avril 2024. L’Edito.
A l’ouverture du Forum économique mondial que notre pays accueille et finance fièrement chaque année, son président exécutif Klaus Schwab se fendait d’un opportun billet (Le Temps, 15 janvier). Ayant ouvert la fenêtre de son bureau, il aurait senti une « vague de pessimisme [ … ] sans précédent», qui s’ajouterait à « la dette, l’inflation et [au] changement climatique ».
Cet influenceur octogêneur, partisan d’une Grande réinitialisation (titre de son dernier bouquin sorti après le Covid-19), invite alors à une « nouvelle approche […] qui voit dans la transition vers une économie verte, numérique et inclusive, une grande opportunité de création d’emplois, d’augmentation du pouvoir d’achat et, enfin de compte, de croissance économique soutenue ».
Relisez attentivement cette phrase. Comme devoir pour votre cours d’économie de la semaine prochaine, surlignez en vert les mots qui ont plusieurs sens (comme transition, inclusive, soutenue) en expliquant leur sens dans ce contexte ; en rouge les antithèses (par exemple, numérique et verte) ; en rose l’oxymore économie verte. Puis, encadrez les expressions relevant du consensus politique (telles création d’emploi, augmentation du pouvoir d’achat, croissance économique). En conclusion, expliquez en quoi cette approche serait « nouvelle ». Et si vous avez la flemme de déconstruire ce concentré de pensée magique vous-même, une bête lA – qui compte parmi les «catalyseurs pour une renaissance de l’humanité », Schwab dixit – fera l’affaire.
Reste un point sur lequel nous sommes d’accord (si si!) avec le donneur de leçons: «Pour nous éloigner d’un climat de crise et favoriser la coopération, la confiance et une vision commune d’un avenir meilleur, nous devons créer un récit positif ». Le nôtre, c’est la décroissance. Une décroissance choisie, qui cherche justement à nous défaire du poids de l’économie sur nos vies. Ce récit, traduit en pratique dans différents espaces alternatifs, collectifs militants et autres lieux non-marchands, nous le portons depuis 12 ans dans ce journal. Et nous le détaillons dans notre livre qui sortira fin avril aux éditions Antipodes: La Décroissance, chemins faisant.
L’économie dominante n’a pas attendu 2024 pour se prétendre « inclusive » : tout ce qui peut alimenter la croissance est bon à prendre, jusqu’à ce qui se passe dans nos espaces les plus intimes, s’immisçant sous nos couvertures. C’est ce que vous lirez, vous qui avez osé soulever la nôtre (de couverture!), dans ce numéro 69 plutôt chaud !
La Rédaction de – Moins !
L’avenir pessimiste d’un optimisme à venir.
Je ne connaissais pas le texte de Schwab, paru dans Le Temps du 15 janvier 2024. Cet articulet « Opinion », paru sous le titre « Rétablir la confiance dans l’avenir » commence par la phrase : « le paysage mondial actuel est défini par la division croissante, l’hostilité accrue et la multiplication des conflits ».
Merci pour le diagnostic, message d’optimisme : enfin un secteur qui n’est pas concerné par la « relance de la croissance ».
Et le premier paragraphe de persister : « le besoin perpétuel de gérer des crises consume l’énergie humaine, énergie qui pourrait être investie dans la création d’un avenir plus optimiste. » À aucun moment, le monsieur ne semble prêt à émettre l’hypothèse que le pessimisme pourrait résulter de la réalisation d’un système économique dont il est le brillant représentant et le fidèle continuateur.
Le moment de re-citer (de mémoire) Hervé Le Tellier : « Le vrai pessimiste sait qu’il est déjà trop tard pour l’être ! »
Il est bien connu que l’or, dont le Diable fait cadeau à ses adorateurs, se change en excréments après son départ.
Freud, Sigmund. Névrose, psychose et perversion. 1908 (cité en exergue par D.-R. Dufour. 2019).
Baise ton prochain ! Mandeville, le Man Devil.
Autorisé par son histoire personnelle, ce monsieur Schwab semble figurer une digne validation des thèses de Bernard de Mandeville, après avoir été édulcoré par Adam Smith, quand le « vice » – chez de Mandeville – se transforme en self love – chez Adam Smith.
En 1714, Mandeville a écrit Inquiry into Origin of Moral Virtue (Enquête sur l’orifgine de la vertu morale), court texte d’une douzaine de pages qui constituent en réalité le logiciel du capitalisme. Les individus doivent se tenir tranquilles et pour cela, il faut les flatter dans l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes.
Dany-Robert Dufour, a retrouvé ce texte et le commente, dans un livre – Baise ton prochain une histoire souterraine du capitalisme -, suite à d’autres ouvrages consacrés au Marché – Le Divin marché, La Cité perverse –, à Mandeville – La Fable des abeilles et autres textes de Bernard de Mandeville) – et un livre faisant le lien entre les deux sujets – Le Dr. Mabuse et ses doubles.
Dans une video sur laquelle j’ai pris des notes, Dufour nous rapporte la pensée de Mandeville :
L’humain est égoïste par nature. Il faut l’amener à modérer ses appétences et ce, par la ruse. Il faut le payer, mais avec une monnaie qui ne coûte rien, en parole, par des flatteries, en utilisant le fantasme qu’il a de ses propres vertus, dans son noble souci de la chose publique. Seule la politique de la flatterie peut faire tenir les hommes ensemble, en modérant leurs appétences.
Les humains ne sont pas là où ils pensent : ils sont égoïstes et stupides, mais veulent apparaître vertueux. On peut apparaître vertueux en étant stupide. En résulte deux classes :
1) les scélérats. Avec eux, la flatterie ne marche pas. Ils courent après la jouissance immédiate. On les appelle les scélérats. Cette classe agit comme répulsif sur la deuxième classe.
2) les vertueux. Ils se targuent d’avoir réussi, là où les scélérats échouent.
Le génie de Mandeville, c’est d’avoir repéré une troisième classe, invisibilisée, composée des very worst of them (les pires d’entre les hommes) qu’on appellerait aujourd’hui des pervers. Ils occupent les deux positions en même temps : simulant l’abnégation comme ceux de la classe vertueuse, et dissimulant leur penchant scélérats. Il semble obéir à la loi et profite de tous les bénéfices possibles. Ils forment cette classe d’ambitieux qui, ainsi, gouverne avec facilité, en faisant travailler pour eux, facilement, les vertueux.
Quelque part, Mandeville invente, 200 ans avant Freud, l’inconscient : les hommes ne sont pas là où ils pensent. Cette invention est immédiatement utilisée pour manipuler les braves névrosés, en leur servant leurs fantasmes préférés : « Je suis vertueux », ce qui bénéficie aux pervers de la troisième classe.
Le projet mandevillien, de passer de la pénurie à l’abondance, a parfaitement réussi (le monde de 2020 est 100 fois plus riches que celui de 1700). Modeste prix à payer pour ce prodige : des inégalités énormes de patrimoines et la destruction du monde. Pour que le marché marche, il faut que tout ce qui peut être exploité le soit.
Le pervers capitaliste cache le trou du monde en y posant le super fétiche argent. Ce faisant, il couvre le monde d’immondices.
L’argent, c’est de la merde, équivalence qui remonte à la phase anale : l’enfant – phase sadique-anale – donne sa merde contre un cadeau. Derrière toutes les transactions humaines perdurent donc une transaction archaïque.
Voir ce que disait Freud : l’or que donne le diable se transforme en merde sitôt que le diable est parti.
Pour le vertueux, c’est mal d’être pessimiste.
Bien que voyageant certainement en 1ère classe, le Pr. Dr. Schwab semble nous servir un discours de la 3ème classe, à destination des vertueux “qui devrait le rester”, en faisant preuve d’optimisme, validant ainsi le discours « de vérité » de la 3ème classe – les very worst of them – minorité éclairée guidant le monde – on retrouve ici les idées de Edward Bernays défendues dans Propaganda, livre de chevet de Goebels. Le monde est décidément trop petit pour vous, Dr. Mabuse.
Bien avant (et plus sérieux) que Jeff Koons…
Voir la machine Cloaca, de l’artiste belge Wim Delvoye (2000).
Doté de l’apparent sérieux d’un laboratoire scientifique (Wim Delvoye s’est entouré de plusieurs scientifiques et ingénieurs pour concevoir sa machine), exposé dans les conditions, elles aussi solennelles finalement, de l’Art, Cloaca ingère les aliments fournis par un traiteur (mais plusieurs grands chefs ont accepté de composer des menus à son intention) et produit des excréments. Les excréments sont emballés sous vide et marqués d’un logo qui pastiche ceux de différentes marques, telles Coca-Cola, Ford ou encore Chanel no 5 et sont ensuite vendus aux environs de 1 000 dollars pièce.
Pietro Manzoni avec ses boîtes de conserve, “Merda d’artista”, payait de sa personne.
L’artiste Kim Delvoye utilisera la technique pour fabriquer la merde et la faire payer, à l’heure de la “reproduction technique”.
L’ex-trader Jeff Koons, avec son Plug anal, se fera payer en allant chercher la merde là où on la trouve. Economie extractiviste.
De l’Arte povera au pauvre art. Avida Dolars et ses Montres molles semblent loin…
Amen !
A la dette du criant… Optim-, Pessim- isthmes, asthme des économies qui s’essoufflent
Aymé Shaman, revenu de Chicago